Lust
7.1
Lust

livre de Elfriede Jelinek ()

Lust n'est pas vraiment un roman, c'est un recueil de feintes de cul. On dirait que Jelinek s'est lancé le défi de trouver les métaphores les plus alambiquées possibles pour parler de la bite, du con et consorts. Elle accumule les images les plus absurdes pour décrire l'acte sexuel en flux tendu. C'est un tombereau de descriptions mi-poétiques mi-ordurières pour parler de pompiers et de sodomie. Fait très remarquable, elle parvient à tenir la distance sur 250 pages et trouve encore des façons créatives de parler de levrette dans les toutes dernières pages. Une vraie réussite dans le genre exercice de style à n'en pas douter.



Que la femme se dénude sur le champ, qu'elle soit à la mesure de sa démesure. Il veut en elle détourner son éclair, mais d'elle jamais son feu ne restera captif!



C'est d'autant plus remarquable que cette luxuriance d'images extravagantes n'est convoquée que pour décrire une interminable série d'abus et de viols conjugaux. Jelinek n'est pas toujours très subtile quand il s'agit de mettre en scène l'exploitation féminine inhérente au mariage bourgeois. Elle est mise très platement en parallèle avec l'exploitation de l'homme par l'homme (le mari violeur est chef d'entreprise) et l'exploitation de la nature par l'homme.



Tels des fauves ils sillonnent leurs ruelles fleuries, ces hommes de la randonnée, la montagne les rejette. Leurs puissantes génitoires sont en quête d'un sein accueillant où se loger durablement. Pour l'instant ils forment encore un docile troupeau...



L'exploitation capitaliste s'étend jusqu'à l'intimité du mariage et la femme est la prolétaire de l'hyménée, l'idée n'est pas neuve, mais Jelinek l'habille d'une prose d'une inventivité impressionnante.


Parce que le livre est dans sa langue. L'histoire est très subsidiaire, famélique, frustrante. Mais le but est là. Jelinek parle dans une interview de Flaubert et ce n'est pas une surprise, Lust est un livre à propos de rien, c'est Madame Bovary via Beckett et la littérature porno. Tout ici est style mais à un point tel que le style devient le tout. Ce que démonte Jelinek c'est la logique chosifiante de la langue sur le sexe, de la plus galante à la plus bassement crapoteuse. Que ce soit l'invocation priapique ou le romantisme d'Hölderlin, la femme est toujours la chose du discours. La femme n'a pas de langue pour dire son désir, son sexe, elle ne possède que le discours dominant qui est, comme de juste, celui de la domination, celle de son assujettissement. Mais qu'on se comprenne bien, il ne s'agit pas nécessairement de la domination paternaliste à l'ancienne. La nôtre est celle des magazines et de la télévision tout autant que celle de l'église et du national-socialisme.



A la télévision les sens brûlent en petits buchers. Ils sont la nourriture de notre jeunesse qui séjourne dans la neige ou dans l'eau dès qu'elle a besoin de reprendre son souffle.



Ça n'a pas grand-chose à voir, mais est-ce que quelqu'un a encore envie d'aller visiter l'Autriche après avoir lu les auteurs autrichiens d'après-guerre? En lisant Jelinek ou Bernhard on a franchement l'impression qu'il s'agit d'un pays seulement habité de cathos violeurs nazis...



Sur les décharges conjugales du Hitlerland ils reprennent leur bagarre, ces petits sexes tenus en lisière qui, sous leurs ombrelles colorées, se prodiguent comme leurs demi-portions de glace.



Lust est un peu laborieux parce qu'il ne s'agit qu'à peine d'un roman. C'est un recueil de sentences rocambolesques (à dessein) sur l'impossibilité pour la femme d'assumer sa sexualité. C'est souvent assez drôle, diablement créatif mais ça n'a pas d'élan, ça piétine, et à la fin on est à peine plus avancé qu'au début... peut-être est-ce voulu, ce qui cadrerait assez bien avec le propos général de l’œuvre, mais il n'empêche qu'être maline et une grande styliste n'est pas tout. Empiler les punchlines, aussi tordantes soient-elles, c'est bien, mais raconter une histoire, ce n'est pas mal non plus...

Listening_Wind
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le 14 avr. 2017

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