Toute littérature d’anticipation, si imaginative qu’elle soit, s’inscrit toujours dans l’époque de son écriture. On ne voit pas le futur de la même façon qu’hier et le monde de demain aura sans doute peu à voir avec ce qu’on envisage aujourd’hui. Malevil ne fait pas exception à cette règle. Ecrit en pleine guerre froide par un écrivain, Robert Merle, qui traversa le siècle, il est pétri des interrogations et des angoisses de son époque. Le synopsis est assez simple : après une apocalypse nucléaire, un petit groupe tente de survivre et d’organiser une nouvelle société.
Tout l’intérêt de l’histoire est, à mon sens, l’espace et le lieu choisis pour faire vivre au lecteur ce « jour d’après » : la campagne française profonde, dans les années 1970. Exit les apocalypses urbaines et les héros américains si intensément exploités par Hollywood. Les « survivants » de Malevil, c’est une bande de paysans, d’artisans et d’instituteurs parlant le patois et n’ayant jamais quitté le village de leur enfance. Le cataclysme qui frappe le groupe n’est finalement qu’un prétexte pour parler de ce moment particulier, entre deux ères, où le monde d’avant n’a pas encore disparu et où celui d’après, s’il existe déjà dans les villes, paraît encore bien lointain aux habitants des campagnes. Tiraillés entre leur mode de vie traditionnel et les attaques de la modernité : exode rural, mécanisation, déchristianisation ou communisme, ils semblent dépassés.Toute l’ironie de l’histoire et de faire de ce mode de vie en déclin et d’un château féodal à l’abandon ("Malevil", qui donne son nom au roman), les clefs de la survie pour les rescapés de l’apocalypse. D'une certaine manière, la fin du monde enraye la fin d'un monde.
Sans manichéisme, diablement subtil, et surtout magnifiquement écrit, le roman parvient à poser des questions de fond sur le rapport des sociétés à la technologie, à la religion, à la politique ou à la famille. Tout est questionné et nous questionne, femmes et hommes du XXIe siècle, bien incapables, nous, d’élever du bétail, de cultiver la terre, ou de bâtir un mur et qui vivraient sans doute bien différemment « notre » apocalypse.