Il existe une chanson de Radiohead (magnifique par ailleurs, mais quelles chansons de Radiohead ne le sont pas à leurs drôles de manière?) qui s’intitule True love waits. Dans cette chanson, il y a un vers tout simple mais à la fois génial et qui pourrait résumer ce livre tout simple mais à la fois génial qu’est Marcello & Co : « I’m not living, I’m just killing time ». Je ne vis pas, je ne fais que tuer le temps.


C’est donc l’histoire d’un type. Qui ne sait pas trop où il va. Qui ne sait pas vraiment ni ce qu’il fait ou ce qu’il compte faire. C’est l’histoire d’un jeune sans nom qui zone dans son propre univers de flemmardise, à la recherche d’un sens et d’une flamme qui allumerait la mèche de son existence. Il ne vit pas, il vivote. Entre deux fêtes s’achevant dans la paresse brutale de l’aurore, notre héros évolue entre des amours à sens unique, un boulot médiocre qui lui permet de survivre, des journées de redescente et des retrouvailles avec ses camarades tout aussi paumés que lui, emplis de promesses, de potentiels à gâcher et autant de frustrations futures qui se fracasseront dans le mur de notre réalité. C’est sans compter sur la chute d’un dandy débraillé sur le trottoir du quotidien de notre héros, sosie de Marcello Mastroianni qui, dès lors qu’il a deux ballons de rosé dès le matin dans le gosier, déambule en ville un carnet à la main. Parce qu’il a du temps à tuer, le narrateur s’improvise détective du dimanche, enchaine les filatures grossières et indiscrètes, persuadé que celui qu’il surnomme Marcello pourrait bien être son soi futur.


L’exercice de la critique peut avoir ceci de laborieux lorsqu’il est question de s’exprimer de nouveau au sujet de quelqu’un que l’on admire. Quiconque me connaît un tantinet sait pertinemment tout l’amour que je voue à la prose et à l’univers de Thomas Vinau. Sa prédilection pour le recul, l’à côté, pour l’observation du traviole et du biscornu, du pas droit, du pas rangé, de ces petits riens et à côtés que l’on ne voit pas, ou plus, et son affection envers les personnes farfelues qui ne peuvent pas s’empêcher de sortir du cadre. Dès lors, que pouvais-je bien ajouter au sujet de ce livre qui sort enfin en poche et qui mérite – comme chaque roman de son auteur – d’être apprécié comme le trésor que l’on doit chérir ? Au sein d’un paysage où la littérature française se complait trop souvent dans l’autofiction nombriliste ou le petit drame bourgeois n’intéressant finalement que les mêmes sphères, Marcello & Co fait à la fois figure d’OVNI tout en s’inscrivant pleinement dans les traces des précédentes œuvres du sieur Vinau.


Si Ici ça va parlait d’un repli vers la campagne, Le camp des autres d’une évasion vers une forme de liberté ou La part des nuages d’un temps en dehors du temps, pour soi et soi seul, Marcello & Co est l’odyssée cabossée d’un drôle d’être urbain en marge. Ni dedans ni dehors mais en transit. Une odyssée avec comme cible un mirage qui débouchera – et c’est dans ce point de chute que l’on peut relier les précédents récits de son auteur- sur une sorte d’oasis, lieu extraordinaire par définition, dont on taira la nature ainsi que sur un inventaire plutôt foutraque mais sacrément bienvenu.


Au fil de ses chapitres courts dont il a le secret, tout en citant pêle-mêle Retour vers le futur, Fernando Pessoa ou Guillevic, Vinau cultive une fois de plus la fleur de ses bons mots en dressant un portrait authentique de la jeunesse estudiantine, de ses égarements et de ces rêves que l’on protège encore un peu d’un âge adulte qui s’approche à pas de loup. Impossible de ne pas lire entre les lignes de cette quête bricolée avec soin et modestie autour d’un héros tendrement maladroit une forme de vécu, que l’on partagera plus que moins selon son expérience personnelle, ainsi qu’une ode à voir (à habiter même) la beauté à qui se donne l’effort de bien vouloir la scruter. Contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord, Marcello & Co est une aspiration non pas à avoir une utilité en société ni même à attendre que le Destin nous sourie mais à trouver du sens. Où qu’il soit. À s’extraire de tout type de frénésie et de n’importe quelle forme de routine. Sous peine, précisément, de passer à côté de sa vie.


Disponible aux éditions 10/18 pour la modique somme de 8,30 euros.


Critique initialement publiée sur placideboucan.com



Jeof-Vincent
10
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le 26 mars 2024

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