Mastication
7.6
Mastication

livre de Jean-Luc Bizien (2007)

Hop, pour en finir avec la première saison du Club Van Helsing (non, parce que, il m'en reste deux, mais là je crois que je vais les éviter... [EDIT : en fait, non ; j'aurais dû...). Petit bilan jusque-là ? Rhoooooooooo, vous êtes lourds. Bon d'accord, mais c'est bien parce que c'est vous. Donc, du meilleur au pire : Délires d'Orphée de Catherine Dufour (excellent), Mickey Monster de Bretin & Bonzon et Question de mort de Johan Héliot (très très sympathiques), Freakshow! de Xavier Mauméjean (sympa) et Tous ne sont pas des monstres de Maud Tabachnik (à chier, mais alors vraiment, et même que mou et qui pue). Un bilan globalement positif, avec juste une daube. Je n'ai pas lu les deux (autres) pires, certes... Reste que, dans l'ensemble, cette collection du Club Van Helsing m'a plutôt convaincu : j'en retire l'impression d'une bonne série de littérature « populaire » (bouh le vilain mot), confiée (la plupart du temps) à des écrivains pas manchots, souvent drôle, et bourrée de références aux bisseries et zèderies qui font mon bonheur de cinéphile déviant (c'est comme ça qu'on dit, c'est pas de ma faute, hein ; moi, je trouve ça beaucoup plus déviant de regarder des films français sur les embrouilles sentimentales de bobos parisiens trentenaires que, disons, un bon vieux Carpenter ou Argento, mais bon...).

Impression d'ailleurs confirmée avec ce (I Can't Get No) Mastication de Jean-Luc Bizien, lequel, derrière ce titre joyeusement débile qui n'a pas eu beaucoup de mal à m'arracher un sourire, livre une sorte de type-idéal de la série ; ou, plus exactement, livre précisément ce à quoi je m'attendais et que je n'ai pas forcément trouvé dans les autres volumes (ce qui ne m'a pas empêché de les aimer, donc).

Pourtant, ça commence mal, mais alors vraiment très très mal, avec un « Avertissement » (p. 5) qui fait froid dans le dos, et file même un peu la gerbe. Je cite, parce que ce genre d'abominations est trop grave pour qu'on ferme les yeux : « Le personnage principal de cette histoire est raciste, homophobe et sanguinaire. Si l'auteur a eu grand plaisir à narrer ses aventures, il est évident qu'il ne partage aucunement ses idées. » Je ne sais pas si Jean-Luc Bizien a décidé seul d'introduire son bouquin par cette vilaine chose, cet ersatz de parental advisory pour... ben, pour bobos parisiens trentenaires, tiens, justement (voire membres du PS, et éventuellement protestants et protecteurs des petits animaux à fourrure ; non, pas juifs, quand même, faut pas déconner...), ou bien s'il y a été fortement incité, mais le fait est que ça m'a donné envie de vomir, là, d'entrée de jeu, et c'est bien dommage quand même. Ou alors, pour l'unité de la collection, il faudrait multiplier ce genre d'avertissements sur les autres titres :
- Tous ne sont pas des monstres : « Cette histoire est raciste, islamophobe, paranoïaque et stupide, en plus d'être écrite avec les pieds ; l'auteur n'en pense pas moins, mais prétend le contraire au cas où. »
- Question de mort : « Le personnage principal de cette histoire est Américain et obèse, mais il va de soi que l'auteur n'a rien contre les obèses, ni même d'ailleurs contre les adeptes du fétichisme et les dégénérés consanguins, quand bien même admirateurs de Julien Lepers. »
- Mickey Monster : « Le personnage principal de cette histoire est Américain et obèse, mais il va de soi que l'auteur n'a rien contre les obèses, ni même contre les dirigeants de PME, les Japonaises et les personnages de Walt Disney. »
- Délires d'Orphée : « Le personnage principal de cette histoire tue des baleines, et il aime ça, en plus, le salaud ; mais l'auteur n'entend bien évidemment pas cautionner ainsi le massacre de ces jolies créatures au doux chant – quand bien même, il ne faudrait pas déduire de cette précision une quelconque critique à l'encontre des Japonais et des Norvégiens, qui sont à l'évidence des gens très bien. »
- Freakshow! : « L'auteur entend préciser qu'il n'a rien contre les ninjas, les artistes de cirque, les siamois, les femmes à barbe et autres malheureux trop longtemps dégradés sous le vil sobriquet de phénomènes de foire, ni même contre les avocats, les toxicomanes et les top-models, même nègres ; cette histoire est ainsi en tout point conforme à la jurisprudence Morsang-sur-Orge (CE ass., 27 oct. 1995), et se veut un vibrant plaidoyer en faveur du respect de la dignité de la personne humaine, quand bien même sacrément moche. »

Grâce au politiquement correct, nous vivrons ainsi dans un monde plus beau (juste avec un peu moins d'arbres, ce qui est dommage pour les écologistes, mais on pourra sans doute trouver le moyen de leur reverser un pourcentage).

Groumf...

Je ne passe pas, mais en fait si, parce que je suis bien obligé, d'abord.

Et surtout parce que je trouve que la suite rattrape bien ce début pathétique. Alors, certes, tout le monde n'est pas forcément de cet avis, hein, mais le consensus, on l'empapaoute d'abord.

Mastication nous raconte (aha) donc l'histoire (aha) de Vuk. C'est lui, le raciste, homophobe et sanguinaire. Il y a pire : c'est un ex-légionnaire et, horreur glauque, un Serbe. Mais il a des bons côtés, quand même : déjà, il dézingue des streumons sur fond de Mötörhead, ce qui est bien la preuve que nous parlons là d'un homme de goût. Vuk aime tuer les gens ; mais, comme notre société obscurantiste maintient la minorité plus ou moins visible des tueurs fous dans une ségrégation inacceptable, il doit bien trouver une parade pour assouvir ses pulsions bien compréhensibles. Il bosse donc pour le Club Van Helsing, et massacre ainsi des vampires et des loups-garous dans la région parisienne (et, bon, d'accord, un ou deux « innocents » à l'occasion, mais, que voulez-vous, on ne fait pas d'omelettes sans casser des œufs). Et il va se retrouver embringué dans une vilaine guerre civile au sein de la communauté garoue, la lycaonie, dont le patron, du nom de Winston Lester Takakura, en a plus qu'assez de ces cons de jeunes qui foutent le bordel en massacrant d'innocents gogoths (ce qui est pourtant bien compréhensible, une fois de plus). Vuk découvre ainsi un nouveau monde, tout de fureur et de sang, et de rites d'initiation douloureux.

La petite présentation de l'auteur nous précise que Jean-Luc Bizien a créé « des jeux de rôles qui lui ont valu un succès international ». Je veux bien le croire : tout cela sent fort la pratique assidue des jeux du World Of Darkness de White Wolf, et plus particulièrement Vampire : la Mascarade et Loup-garou : l'Apocalypse. Mais attention, hein : pas la version « Art du Conteur » toute en introspection dépressive et romantique. Pour ce qui est de l'atmosphère gothique-punk, Jean-Luc Bizien a surtout retenu le punk : nos amis les flap-flap sont ici des victimes toutes désignées pour une bande de gros bourrins psychopathes au neurone isolé, gavés de bière dégueulasse, qui puent le cambouis et l'homme viril, et n'ouvrent la bouche que pour balancer une punchline pathétique, un jeu de mots scandaleux ou une blague pourrie. Comme dans un chouette jeu de rôles bien potache, avec des packs de bière à portée, et Mötörhead en fond sonore (donc). Le mauvais goût et la lourdeur règnent (mais alors vraiment), et la connerie est sanctifiée.

Et c'est ça qu'est bien. Oui, c'est bien en ça que Mastication correspond exactement à ce que j'attendais (la bave aux lèvres) du Club Van Helsing : un bouquin distrayant et « populaire », sans prétention, très con voire très nul, mais aussi terriblement efficace, car drôle ; pour dire les choses autrement, une bisserie tellement grosse et stupide qu'elle en devient nanarde, mais volontairement. Et du coup, en ce qui me concerne, c'est que du bonheur. Alors certes, que ceux qui ne jurent que par La Grande Littérature passent leur chemin en tremblant d'effroi, Mastication n'est clairement pas pour eux : y'a quasiment pas d'histoire, les personnages sont tous des stéréotypes, l'humour est affligeant et le style au minimum syndical (ce qui est déjà pas si mal). Pour les autres, ceux qui aiment bien se vider le crane de temps à autre, les aérophagistes de l'esprit, les buveurs de Königsbier, les fans de Mötörhead et ceux qui n'ont pas oublié que dans « jeu de rôles » il y a « jeu », tout de même, ça fait un court roman vraiment con et vraiment sympa. Idéal pour tuer le temps dans un TER.

Alors oui, c'est sûr, on n'en sortira pas grandi ; mais on posera le bouquin le sourire aux lèvres, en se remémorant un ou deux jeux de mots du genre à faire rire les informaticiens et à consterner les donzelles raffinées. Ce qui est toujours utile, après quatre pintes.
Nébal
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le 10 oct. 2010

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