« Il y a peu de personnes, même parmi les penseurs les plus calmes, qui n'aient été quelquefois envahies par une vague mais saisissante demi-croyance au surnaturel, en face de certaines coïncidences d'un caractère en apparence si merveilleux que l'esprit se sentait incapable de les admettre comme pure coïncidences. » le mystère de Marie Roget, E.A.P.

Pourquoi a-t-on vraiment un drôle de feeling à la lecture des livres qui se déroulent à cette époque ? Parce qu'une chose stimule notre perception. Le point commun qu'ont ce genre thrillers historiques, est que nos sens sont stimulés par un vocabulaire, un phrasé, une utilisation d'un décor qui va nous aider à rentrer dans le livre. À ressentir la vie de cette époque, à rentrer donc plus facilement dans la peau du héros.

« La pipe toujours vissée entre les dents, il ne met pas longtemps à fermer les yeux et, bercé par le cuir confortable du fauteuil et par les inflexions douces et rassurantes de la voix de sa fille, il succombe une fois de plus au sommeil. » le Vieux Hays dans Noir Corbeau.

Nous avons dans ces livres l'impression d'entendre le crépitement de la bougie, de la bûche dans la cheminée. Le bruit du parquet qui gémit, la morsure du froid, les crevasses de la rampe d'escalier en bois. Le bruissement d'un vieux livre relié, l'odeur du tabac fraîchement roulé. Même les douleurs ou les courbatures du personnage, nous avons l'impression de les ressentir. C'était le cas pour l'Alieniste de Caleb Carr, un Oeil Bleu Pale de Louis Bayard, pour Nevermore de William Hjortsberg ou pour Carter contre le Diable de Glen David Gold, ça été encore plus le cas avec Noir Corbeau de Joel Rose. Quand à tout cela, vous y ajoutez une bonne pincée de poésie, qui mêle romantisme et mélancolie, cela fait littéralement planer. C'est très difficile à exprimer en fait...

« Attention, le Vieux Hays est à tes trousses ! » les brigands, au sujet du Chef de la Police dans Noir Corbeau.

Cela fait 20 ans que Joel Rose travaille sur ce manuscrit. 20 ans qu'il peaufine un roman où il va pouvoir relier un à un les évènements qui se sont déroulés entre 1841, année de la découverte du corps de Mary Rogers et 1849, année de la mort d'Edgar Allan Poe. Pour cela, il parlera des guerres de Gangs de New York, du colonel Samuel Colt, de l'éditeur Harper, des Tombs, de l'évolution de la Police, etc.

Dès le chapitre 2, nous faisons la connaissance du Vieux Hays, Jacob pour son prénom, qui, à 69 ans, occupe depuis 1802 les fonctions de chef de la Police. (Comme dans un Œil Bleu Pâle, nous retrouvons cette figure paternaliste qui va « faire la leçon » au lecteur et tenter de comprendre les tourments qui tempêtent dans l'esprit de Poe.) Hays est veuf et vit avec sa fille Olga. C'est elle qui va l'initier à l'œuvre de Poe, en décortiquant par exemple la technique de l'auteur pour résoudre les enquêtes de son Chevalier Dupin (Double Assassinat dans la rue Morgue), la ratiocination. Dupin qui n'est pas sans rappeler Hays en personne, de l'aveu même d'Olga. La ratiocination, c'est je cite « l'acte de déduire des conséquences à partir d'hypothèses. »

Alors pourquoi l'œuvre de Poe prend de l'importance dans l'enquête du Vieux Hays ? Parce que Poe va se charger de raconter sa version des faits en transposant le meurtre de Mary Rogers, de New York à Paris, dans une histoire en trois parties qui paraîtra à la même époque et dont la dernière partie promet de nommer le coupable ... Olga ne sera donc pas de trop pour aider son père à déterminer si Poe n'est qu'un simple narrateur des faits ayant menés à la mort de Mary où si il est un des acteurs de sa disparition.

Outre le fait de nous plonger dans le monde du Gotham (surnom du New York du 19ème, donné par Washington Irving) de ce milieu du siècle, dans une période charnière, aussi bien politique que littéraire ou industriel, Rose nous plonge aussi au cœur de l'âme de Poe. En romançant les dernières années de sa vie, il nous conte les circonstances qui ont amené le poète à écrire les histoires qui sont désormais des références en matière d'énigmes policières. Un Poe qui œuvrait aussi pour que les droits d'auteurs soient respectés aussi bien sur le territoire national que dans le monde.

Une petite info que j'ai eu plaisir à découvrir, grâce aux notes de bas de page de Marie de Prémonville, c'est la signification du mot « cop » en anglais. C'est lié à la fameuse étoile en cuivre du shérif. Le cuivre se dit « copper » en anglais et le cop est resté pour donner le nom que l'on connait désormais.

Si l'on ne peut qu'être époustouflé par le travail de Joel Rose qui est parvenu à nous dépeindre les répercussions sociales d'un meurtre sur son environnement, de la vendeuse de mais ambulante au Maire de New York, il faut aussi féliciter le travail de la traductrice, qui a su donner une belle voix au narrateur, qui a traduit, de nouveau, les poèmes et les passages des histoires de Poe abordés dans le roman, et qui a, à chaque fois qu'elle l'a jugé nécessaire, ajouté une note pour, par exemple, nous aider à nous promener dans les quartiers de New York. Du travail d'orfèvre en fait.

Noir Corbeau n'a peut être pas eu l'exposition qu'il mérite face aux mastodontes qu'on été un Œil Bleu Pâle ou l'Interprétation des Meurtres. Parce qu'au minimum, il leur est égal en qualité. Et on peut facilement le placer en tête de ce tiercé. Ruez-vous donc sur ce livre passionnant qui ne vous laissera certainement pas insensible face à l'œuvre de Poe ou à la destinée du Vieux Hays. Les trois dernières pages mettent un point final à l'histoire d'une manière aussi frustrante que passionnante. Vous ne pouvez terminer la lecture du livre qu'avec un immense sourire aux lèvres et une irrésistible envie de retourner dans cet univers là, le plus tôt possible !

Frédéric Fontès
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le 3 août 2010

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