Nostromo
8.1
Nostromo

livre de Joseph Conrad (1904)

Œuvre imposante et intimidante, tant par l'ambition que par la longueur : plus de cinq cent pages, soit le plus long roman de Conrad. Parfois considéré comme le meilleur, même si Lord Jim et l'Agent Secret sont de sérieux concurrents. Le projet est immense, au point qu'un critique anglais l'a comparé à Guerre et Paix : donner bien sûr vie à une pleine galerie de personnages, mais surtout corps à une contrée imaginaire d'Amérique du Sud, le Costaguana et en exposer les enjeux politiques et économiques.
Les événements se déroulent à Sulaco, ville portuaire du Costaguana, dont la mine fait l'objet de toutes les convoitises des sociétés européennes. A la mort de son père, Charles Gould décide de reprendre la mine et de la réouvrir.
Si la chronologie du roman s'avère moins infernale qu'annoncé dans l'introduction, certains événements peuvent sembler brumeux. Conrad joue avec son lecteur et s'autorise certains retours en arrière ou à l'inverse accélère le déroulement. Il est parfois nécessaire de jeter un œil à la séquence des événements synthétisée en introduction.


Si Nostromo n'est pas un simple roman d'aventure, il n'est pas avare en rebondissements; Conrad est à son affaire et sait trousser quelques scènes fortes, notamment la soirée où Decoud et Nostromo tentent de mettre à l'abri le trésor de la mine, véritable noyau central du roman. On y trouve là quelques belles pages d'une ambiance étouffante qui ne manqueront pas de ravir ceux qui ont aimé Au Coeur des Ténèbres. Toutefois Conrad n'est pas Stevenson et il y a toujours chez lui un surcroît de précision qui c'est malheureux à dire nuit un peu au plaisir de lecture, là où l’écossais sait stimuler l'imagination par un art plus vague et lacunaire.


Mais Nostromo est surtout un grand roman sur l'aliénation par l'argent et le matériel. Conrad le fait ressentir sur les différents personnages qui animent Sulaco : presque dès le début ils apparaissent désossés, fantomatiques, tout à leurs objectifs de concrétisation de profit. Nostromo est lui tout défini par son prestige personnel et ne vit que par et pour ce prestige : on se doute bien que cela finira par devenir un fardeau. Les quelques uns apparaissant un tant soit peu positifs sont ceux ayant connu la torture des troupes montiéristes : Monygham et le père Corbelan. Le péché originel tient sans doute à ce que Charles Gould fait passer la justice derrière l'ordre lorsqu'il décide de faire réouvrir la mine, et de s’accommoder d'un pouvoir autocratique. Notons que cet aspect politique de l’œuvre est hélas toujours d'actualité : il ne s'agit rien moins que de l'alliance entre ultra-libéralisme et autoritarisme.
Nostromo est un roman assez nettement pessimiste, où les personnages contemplent leurs gouffres et peu en réchappent, mais Conrad sait être toujours fin, aussi bien dans l'exposition des motifs politiques (après tout, l'influence de Gould a aussi ses côtés positifs et protège en partie les mineurs) que dans ses saillies psychologiques, voyez plutôt cette belle citation



La vie, pour être vaste et pleine, devait, à chaque moment du présent, contenir le soucis du passé et de l'avenir. Notre tâche quotidienne doit être accomplie pour la gloire des morts et pour le bien de ceux qui qui viendront après nous.



C'est finalement cet équilibre qui m'a frappé dans ces quelques cinq cent pages. Le "monstre" était plutôt fin.

Créée

le 19 août 2016

Critique lue 1.6K fois

18 j'aime

Florent

Écrit par

Critique lue 1.6K fois

18

D'autres avis sur Nostromo

Nostromo
HammerKlavier
10

La défaite des ambitions.

Joseph Conrad est un écrivain hors pair, capable de marier roman d'aventure, et littérature plus sérieuse dont l'ambition va au delà du plaisir de divertissement. Nostromo ne fait pas exception...

le 8 août 2013

10 j'aime

1

Nostromo
Coriolano
9

Un magnifique roman, à la fois riche et sombre.

Le thème du livre est la vie d'un pays d'un Amérique du Sud, le Costaguana,symbole de l'Amérique du Sud avec son cortège de corruption et de révolution. Le talent du romancier est véritablement...

le 23 janv. 2011

9 j'aime

Nostromo
momoshaouse
8

p. 127

L’activité est la plus grande consolatrice, l’ennemie des rêveries vagues et la mère des illusions flatteuses. C’est elle seule qui nous donne une sensation d’empire sur la Destiné.

le 24 sept. 2019

1 j'aime

Du même critique

Gravity
Silentum
5

Est-ce-que c'est grave, ET?

Je voulais pas forcément écrire une critique sur Gravity, mais au vu des notes vues par ailleurs je crois que finalement je vais m’expliquer. Parce que je sens que ma note est une des plus basses...

le 5 nov. 2013

51 j'aime

5

Rashōmon
Silentum
9

Critique de Rashōmon par Florent

Ouais bon on va se remuer là. Non parce que c’est pas tout ça mais faudrait voir à se préoccuper un peu de Kurosawa. Deux films* du maître en tout et pour tout ça la fiche un peu mal, surtout chez...

le 30 oct. 2013

45 j'aime

6

L'Aventure de Mme Muir
Silentum
9

Critique de L'Aventure de Mme Muir par Florent

Joseph Mankiewicz. De ce réalisateur dont le nom évoque aux cinéphiles quelques films de légende (même si bizarrement il y a encore quelques mois j'aurais plutôt associé son nom essentiellement à...

le 5 janv. 2014

36 j'aime

2