Comme le titre du roman le laisse présager, Jean-Luc Coatalem choisit de traiter une curiosité politique sur un mode résolument comique. Embarqué pour la Corée du Nord, il donne à son récit des airs de fiction d'espionnage bon marché, à la SAS, et tente de garder tout le long de son reportage un ton léger, ce qu'il ne parvient pas toujours à faire. Car c'est bien un reportage plus qu'autre chose, et si vous connaissez déjà les péripéties touristiques au pays des Kim, vous n'aurez pas grand chose à vous mettre sous la dent, un comble lorsqu'on relève tous les caprices de l'auteur concernant la qualité ou la quantité de ses repas.

De manière générale, le point de vue est condescendant, quand il n'est pas pédant. Serait-ce un moyen de se protéger de l'absurdité et du climat de peur ambiants ? L'auteur oublie parfois que la population, ses guides compris, sont les premières victimes de ce régime malade, et n'affecte que bien peu de considération à ces pauvres hères, les qualifiant "d'hésitants" voire même les réduisant tous à un seul nom. Les seuls traits chaleureux pouvant émerger de cette dureté que l'on espère feinte concernent des personnages féminins, qui sont automatiquement reliés à des fantasmes littéraires, comme si l'auteur, pour s'en rapprocher, niait leurs particularités. Ce manque d'intérêt pour la masse des fantômes, dont il ne cesse pourtant de décrire l'apparence, font que Nouilles froides à Pyongyang a bien peu à ajouter à l'exploitation littéraire de l'état totalitaire : les nord-coréens resteront ces étrangers insaisissables, sans que Coatalem n'en éprouve le moindre regret.

La structure du roman est conçue de manière à pallier sa brièveté. En alternance, s'y mêlent donc anecdotes de voyage, qui seront le fil rouge ; explications sur l'histoire de la Corée ou sur le régime, pour les profanes ; et fiches de lecture des ouvrages consultés lors du séjour. Ce dernier point est parfois brandi comme un bouclier culturel, un rempart de civilisation et de liberté entre les deux touristes et le monde fermé et triste qu'ils arpentent. Seulement, c'est aussi la première source de morgue émanant de l'auteur, qui, fier du qualificatif de turbulent qu'un de ses guides lui prête, a parfois du mal à reconnaître qu'il est lui aussi écrasé par ce toit de béton qui le recouvre, au même titre que la population locale.

La plume, malgré quelques accents ampoulés, reste agréable et contribue à la rapidité de lecture, au même titre que le faible nombre de pages et la grande taille des caractères (pour la première édition, Grasset). Une fois le livre refermé, restent donc la découverte du Vinalon et le récit de ces deux Français un peu fermés, un peu blasés, un peu absents. Déception donc, dont on voudrait attribuer la cause à la nature même de ce voyage organisé, mais qui se fait assez profonde pour que le blâme déborde sur la question de l'intérêt même du roman, au fumet légèrement bâclé. Pour ne pas rester sur un échec, il existe des titres plus intéressants, ayant su explorer le même sujet sur un ton humoristique. Pyongyang, chroniques graphiques de Guy Delisle, est l'un d'entre eux.
Nahitsu
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le 15 mars 2013

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