À peine le rédacteur en chef du Chautauqua Falls Journal nous adresse-t-il la parole, nous le sentons, nous le savons, il est sur le point de nous conter l’histoire d’un déclin, celui de sa famille. Les Mulvaney sont presque une légende ; pareil à celui d’une dynastie, leur nom rayonnera encore lorsqu’ils seront terrassés, vaincus, humiliés, trahis. Les aurions-nous crus nombreux ? Ils n’étaient que six. Judd, le narrateur, le petit dernier ; ses parents, Corinne et Michael ; deux frères, Mike et Patrick ; Marianne, la vive et gracieuse Marianne, si jolie, si pieuse. Il faudra bien plusieurs centaines de pages pour éprouver cette déchéance familiale survenue après le drame de février 1976. Judd le notera plus tard dans le récit, « quels mots peuvent résumer une vie entière, un bonheur aussi brouillon et foisonnant se terminant par une souffrance aussi profonde et prolongée ? »


Nous oublierons rapidement que le narrateur est journaliste et benjamin de la famille, nous nous rangerons dès les premiers instants auprès des membres de cette tribu, nous les observerons tout au long des années, partagerons leurs souvenirs, souffrirons cette ruine augurée, cette gangrène pronostiquée avant la première plaie, les premières meurtrissures. Spectateurs impuissants mais jamais voyeurs, désemparés, effarés, tourmentés nous contemplerons amèrement l’effondrement synchrone et progressif des six Mulvaney.


Et nous tiendrons le coup, nous tournerons frénétiquement chacune des pages de ce roman qui nous dévorera, nous hantera sans relâche, nous obligera à retrouver les Mulvaney éparpillés dans la noirceur de la nuit, nous aurons mal au ventre, des tremblements aux doigts, les yeux écarquillés, la mandibule tombante. Nous serons encore obsédés par les Mulvaney bien après avoir englouti, ahuris, l’épilogue, nous nous reposerons les mêmes questions en boucle, repenserons à ces phrases lancées par un enfant, une mère, un inconnu et qui demeurent en mémoire longtemps, longtemps…


« Sois réaliste, Marianne. »
« Je suis sa mère, moi aussi j’ai été violée. »
« De l’obscurité je suis sortie, à l’obscurité je peux aisément retourner. »
« L'orgueil précède la chute. »

smilla
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le 16 mai 2019

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