Ô Verlaine !
6.8
Ô Verlaine !

livre de Jean Teulé (2005)

On trouve un plaisir malsain à désacraliser la figure d’un poète. Lorsque Teulé décrit Verlaine, c’est pour appuyer sur les détails de sa « face mongoloïde », et le personnage est aussi laid qu’il est obscène. Quand il apparaît pour la première fois dans le livre, le petit Cornuty le découvre dans un endroit miteux, avachi sur le lit d’une prostituée, le crâne grouillant d’insectes.

Il faut gratter pour chercher la poésie sous ces visages immondes, sous ces caractères rudes, jaloux, agressifs ou vaguement idiots, il faut chercher la poésie sous les odeurs du Paris sale, sous les ordures et dans les vieux appartements. C’est, à mon sens, là où se situe le vif intérêt du roman. Les courts extraits de poèmes rappellent à qui l’on a affaire, et le Verlaine antipathique redevient le Verlaine génie. A l’image du prêtre qui, après avoir entendu Verlaine en confession, le renvoie brutalement de l’église, puis accepte volontiers de se rendre au chevet du poète mourant car il a finalement lu sa poésie, on est tiraillé entre ces deux parts du personnage, qui nous ballade entre admiration et répulsion. Derrière, le personnage de Cornuty, qui tue ou mutile ceux qui s’opposent à Verlaine, est à la fois touchant et répugnant. Touchant dans sa dévotion, répugnant dans ses crimes. C’est à cela qu’il faut s’attendre tout le long du livre. Dans l’ensemble, donc, une lecture difficile, parce que la précision de l’écriture de Teulé malmène ses personnages et le lecteur avec, et on se trouve avec des sentiments contradictoires; l’empathie pour le poète est réveillée seulement lors des courts extraits de poèmes, ou lorsqu’il est successivement maltraité par ses deux amours.

Le Paris du XIXème est simplement et efficacement reconstitué, et on croise parmi les plus grandes figures de l’époque.

Cependant, O Verlaine s’avère rouler sur les mêmes rails que Charly 9. Même style très précis, incisif, régulier, moderne, toujours satisfaisant à la lecture, mais le roman est malheureusement sans surprises. L’intrigue est secondaire, certes, et on ne peut enlever à Teulé son sens de la formule, mais le parallèle est vite fait avec l’histoire du Roi de France. Je me suis doucement lassée …

Teulé a un sens du détail indéniable, Teulé est drôle, Teulé sait écrire, Teulé sait décrire et, même si je suis restée sur la route cette fois-ci, je n’attends plus que de voyager encore avec lui, comme j’ai voyagé avec Charly.
Sarah_Beaulieu
6
Écrit par

Créée

le 16 janv. 2014

Critique lue 308 fois

1 j'aime

1 commentaire

Sarah Beaulieu

Écrit par

Critique lue 308 fois

1
1

D'autres avis sur Ô Verlaine !

Ô Verlaine !
LaurentProudhon
9

Les derniers jours d'un clochard céleste

Plus je lis Teulé, plus je l’apprécie. Ce type est un de nos grands conteurs contemporains, et comme avec son roman qui allait suivre celui-ci, « Je, François Villon », il a su faire revivre ici avec...

le 24 oct. 2021

1 j'aime

Ô Verlaine !
villou
5

ô Teulé

Teulé se feignantise. J’aime bien Verlaine et le choix de romancer la fin de vie de l'artiste aurait pu être judicieux. D’ailleurs, ne nous y trompons pas, Teulé a su mener avec brio le décalage...

le 4 févr. 2018

1 j'aime

Ô Verlaine !
Sarah_Beaulieu
6

Après Charly 9 ...

On trouve un plaisir malsain à désacraliser la figure d’un poète. Lorsque Teulé décrit Verlaine, c’est pour appuyer sur les détails de sa « face mongoloïde », et le personnage est aussi laid qu’il...

le 16 janv. 2014

1 j'aime

1

Du même critique

Malpertuis
Sarah_Beaulieu
9

Une révélation.

Hypnotique, brillamment écrit, Malpertuis est une révélation. Mon avis : Découpé en plusieurs voix, le récit est en grande partie mené par le jeune Jean-Jacques Grandsire qui, errant dans l’épaisse...

le 15 janv. 2014

11 j'aime

Caligula
Sarah_Beaulieu
8

Caligula et Le Malentendu

La première pièce présentée dans cette édition, Caligula, est la raison principale de l’achat de ce livre, trouvé d’occasion dans une petite librairie il y a quelques jours. Le nom de Camus, imprimé...

le 15 janv. 2014

9 j'aime

Le Moine
Sarah_Beaulieu
8

Eloge de la perversion

Au début du chapitre II, alors que le moine vient, durant un sermon enflammé, de mettre le peuple en face de ses vices (« Chacun des auditeurs fit un retour sur ses offenses passées, et trembla ») il...

le 6 avr. 2014

8 j'aime