Pan
7.5
Pan

livre de Knut Hamsun (1894)

Pan est un roman marquant à plus d’un titre. D’abord, le narrateur, le lieutenant Thomas Glahn, rend compte de ses émotions et de leurs nombreuses variations avec une force d’évocation picturale tout au long de ce récit à la première personne. En outre, Knut Hamsun explore plusieurs thèmes existentiels comme le rapport dialectique de l’homme à la nature et à la civilisation ou encore la passion amoureuse.


Le Nordland, terre septentrionale et sauvage de Norvège, disposé entre océan, bois et montagne, est le cadre de vie de Glahn et explique en soi la vigueur qui transparaît du protagoniste et de son quotidien. Contrée natale de Knut Hamsun, cette terre des extrêmes se trouve tantôt saturée de lumière, de couleurs et de vie par le soleil perpétuel d’été, tantôt plongée dans d’épaisses ténèbres par le long hiver polaire. Glahn, arrivé de fraîche sous ces latitudes, songe que de telles alternances du climat influent sur les êtres eux-mêmes, qu’il perçoit alors comme changeants et imprévisibles. Le cadre spatial est ainsi posé par une subjectivité aux marges du réel.


La vitalité de Glahn est aussi le résultat d’une vie en retrait de la société, comprendre de la bourgeoisie de Sirilund, bourgade fictive et avant-poste de la civilisation au sein du Nordland sauvage. Le narrateur alterne chasse et pêche vivrières au rythme des saisons, mode de vie du Scandinave archaïque exalté par Knut Hamsun. Retiré en lisière de forêt dans sa hutte surplombant le bourg côtier, Glahn est un ermite à la virilité sauvage, non encore corrompue par la civilisation moderne, synonyme de décadence pour l’antimoderne Hamsun.


Le jeune homme, force brute, séduit les jeunes filles du coin par son seul regard de bête sauvage. Cet être indompté détonne dans le microcosme bourgeois de Sirilund : la bonhomie, l’ingénuité, l’impulsivité et la rusticité de Glahn lui font multiplier les maladresses et les frasques. Craint et jalousé autant que méprisé pour ses qualités toutes anachroniques, Glahn se sent mal à l’aise dans la bonne société et préfère la solitude - autant que la compagnie - de la nature sauvage.


En effet, le rapport de Glahn au spirituel est éminemment panthéiste : ce dernier ne fait qu’un avec son environnement et rend grâce à la faune, à la flore, au relief et aux éléments qu’il côtoie au quotidien. C’est ici la nature qui fait office de divinité immanente, une mais impersonnelle - car présente en toute chose - et amorale - s’inscrivant par delà le bien et le mal. À commencer par le titre donné au roman, on peut rapprocher cette sensibilité de la tradition préchrétienne de l’Europe, dont le paganisme nordique est une des variations. La société bourgeoise et ses carcans est quant à elle assimilable au luthéranisme alors prédominant. Une telle exaltation de la vie se trouve être semblable à la celle de Nietzsche, en rupture complète avec la morale chrétienne. Celui-ci, dans La Volonté de puissance, enjoint l’homme à « Ne plus prier : bénir ! ».


Autre thème central du roman : l’amour, dont la vision édifiante que nous donne Knut Hamsun peut être résumée par ces mots d’Edvarda - jeune fille dont s’éprend Glahn, pour son plus grand malheur - adressés au narrateur : « Rappelez-vous, il en est qui donnent peu, et c’est beaucoup pour eux, d’autres donnent tout, et cela ne leur coûte aucun effort ; qui donc a donné le plus ? ». Dans la vie comme en amour, pas d’égalité - idéal illusoire - mais une lutte sempiternelle : Edvarda, froide et calculatrice, est portée au pinacle par Glahn sans autre raison que la passion qu’elle suscite dans le cœur de l’ermite. Pour sa part, la bonne et innocente Eva, qui se donne corps et âme à Glahn, ne récolte que la mort, sous des airs de tragédie:


Comme chez Edvard Munch (voir La Mort de Marat), autre illustre Norvégien et figure de la peinture expressionniste, le féminin - incarné par Edvarda dans Pan - représente l’insaisissable et inquiétante figure de l’altérité pour le mâle, l’ambiguïté menant tantôt à l’harmonie et à la félicité, tantôt au conflit et au malheur.

SiHeRi
9
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le 26 févr. 2023

Critique lue 42 fois

SiHeRi

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