C’est dingue, ça conspire, ça graffite, ça écrase, ça tague, ça hurle, ça casse, ça incendie… Hélène Laurain nous immerge au cœur d’une bande d’activistes dans laquelle, malgré ses sept années d'études dans une école de commerce, milite Laetitia simple employée dans l’établissement thermal de Thermes-les-Bains.


Hélène Laurain est née à Metz en 1988, a étudié les sciences politiques ainsi que l’arabe en France et en Allemagne, puis la création littéraire à Paris-VIII. Elle vit dans le Grand Est avec sa famille et y travaille en tant que traductrice de l’allemand. Elle anime actuellement un groupe de lecture au Fonds régional d’art contemporain de Lorraine autour du thème de l’émancipation. Elle s’intéresse notamment à ce qui a trait au vivant, au féminisme, à la maternité, et s’attache à trouver des formes qui disent le contemporain.


Tout d’abord, ce qui frappe, c’est la forme :
« l’un de nous doit inaugurer la piste de danse
une 1664 dans une main une roulée dans l’autre
les yeux mi-clos j’y vais
feins l’indifférence
j’ondule m’efforce de croire à mon détachement
le fais mien
même quelques secondes ça compte
continue même seule sur la piste
»


Des vers libres ? Pas très courant ça. Et pourquoi, s’il vous plait ?
Hélène vous expliquera que « Écrire en vers libres était au départ un accident, même si j’avais dans l’idée d’écrire dans une forme particulière. J’ai commencé par écrire un échange de sms entre la narratrice et un de ses amants, et du coup, le style télégraphique s’est imposé, et en filant ce retour régulier à la ligne, je me suis rendu compte qu’il y avait là une urgence, quelque chose d’haletant qui traduisait parfaitement l’état psychologique de mon personnage. Aujourd’hui, on écrit des sms, des emails, et les smartphones modifient totalement notre façon de voir et de penser le texte, ainsi que le rythme avec lequel on le lit. J’avais vraiment envie d’intégrer cette contemporanéité à mon texte et ainsi trouver un écho entre le contenu et la forme. »


Bon. Va pour la forme, on finit par s’y faire – à la moitié du livre on n’y fait pratiquement plus attention – mais de quoi s’agit-il ?
C’est donc l’histoire d’une bande de potes, activistes-anarchistes-écologistes, racontée par l’une d’entre eux, Lætitia, BAC + 7, obsédée par la catastrophe climatique en cours, et qui voit d'un mauvais œil la décision de l’État d'enfouir les déchets radioactifs dans sa région de Lorraine (voir l’extrait dans G – FRAGMENTS).


Mais pourquoi le feu ?
Encore une fois, Hélène vous expliquera que lorsque « j’ai écrit "Partout le feu", il y avait le mouvement des Gilets jaunes, il y avait des violences policières, des incendies de bâtiments insalubres, et j’avais le sentiment que le feu était omniprésent. De même, dans l’écriture, on s’empare du feu pour parler de la passion amoureuse ou de ce qu’il y a d’incandescent et de beau : j’ai voulu en évoquer ces deux aspects. Il y a le feu de l’intensité du rapport au monde de mon personnage, de sa rage et de sa colère. Le feu peut détruire, mais il peut également nous illuminer et c’est cette beauté-là que j’ai voulu convoquer. »


Il y est question de deuils également, liés notamment aux catastrophes écologiques. Il y en a tant que lorsque ces chiffres deviennent trop importants, on ne peut plus se représenter ce qu’ils disent et qu’ils deviennent une abstraction difficile à exprimer. Mais quand la mort touche un proche elle revêt toutes sa cruelle et troublante réalité comme l’évocation du décès de Mémou, la mère de Lætitia – du vécu ? – :


« il y a des jours où Mémou
sans le savoir
a fait les choses pour la dernière fois
son dernier mail
sa dernière clope
son dernier pas
la dernière fois où elle s’est coiffée
[…] j’aurais aimé être le détective
de ces dernières fois
avoir noté et consigné ces choses
leur heure d’arrivée
avoir la preuve que nous avons bien existé
ensemble
[…] la seule preuve de son corps est
trop précieuse ou pourrie
déchet
sous terre comme nucléaire
j’aurais aimé
manger sa poussière dans les tomates
la goûter
tout plutôt que ça
cette omniprésence inodore
sans elle la maison est
comme emplie de vent
»


Peut-être qu’après cette lecture certains groupes de défense, certaines manifestations, ne sont plus vus tout à fait de la même façon par le bon peuple. Comme, par exemple l’occupation de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes montée par les opposants au projet d'aéroport du Grand Ouest dans les années 2010 à 2020


Pour en savoir plus :
https://diacritik.com/2022/01/07/helene-laurain-offrir-des-contre-recits-aux-recits-dominants-est-un-puissant-levier-de-changement-partout-le-feu/


P.S. : un extrait sur la liste G - FRAGMENTS

Philou33
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Q - FRAGMENTS

Créée

le 5 mars 2022

Critique lue 169 fois

2 j'aime

9 commentaires

Philou33

Écrit par

Critique lue 169 fois

2
9

D'autres avis sur Partout le feu

Partout le feu
Philou33
8

CHAUD, devant…

C’est dingue, ça conspire, ça graffite, ça écrase, ça tague, ça hurle, ça casse, ça incendie… Hélène Laurain nous immerge au cœur d’une bande d’activistes dans laquelle, malgré ses sept années...

le 5 mars 2022

2 j'aime

9

Partout le feu
Charybde2
8

Critique de Partout le feu par Charybde2

D’une lutte écologique  radicale théoriquement perdue d’avance, extraire la poésie d’un espoir paradoxal et décapant.Sur le blog Charybde 27 :...

le 2 nov. 2022

Du même critique

L'Anomalie
Philou33
7

À lire sans tarder… et pour cause !

… Car je ne pense pas trahir un quelconque suspense en soulignant que l’action de "L’Anomalie" se déroule en juin 2021 (Cf. quatrième de couverture) et donc tout ce qui n’est pas advenu peut encore...

le 13 déc. 2020

17 j'aime

5

Les Choses humaines
Philou33
4

OUI pour le fond ! NON pour la forme !

C’est générationnel (Je suis un VIEUX C…). Je n’aime pas les histoires de cul ! Je n’aime pas les histoires où on « fait l’amour » comme d’autres font des cauchemars. Mais, à en croire l’auteure,...

le 13 nov. 2019

14 j'aime

11

Le Bug humain
Philou33
10

L’Homme : ennemi mortel pour l’homme

ATTENTION, ceci n’est pas une "Critique". D’ailleurs je ne m’octroie pas le droit d’émettre des critiques, tout juste des commentaires. Ici, ce serait plutôt un billet d’humeur. Dans ce cercle...

le 20 mars 2020

11 j'aime

5