Il est difficile de critiquer cette œuvre tant sa lecture est récente pour moi. D’autant plus que finir ce roman a été pour moi une souffrance. Pas une souffrance liée à une insatisfaction du contenu ou de la forme, mais une souffrance presque physique.


En effet, j’ai lu les 50 dernières pages le ventre noué, les larmes aux yeux, dans cette espèce de concentration décuplée par l’excitation et le stress. Alors non, ce n’est pas un stress de polar, c’est plutôt une angoisse latente qui arrive à son comble en fin de livre. Une angoisse existentielle, pleine des questions que le protagoniste Swede Levov, à travers le narrateur Nathan Zuckerman, se pose : la place de la solitude dans nos vies, l’origine de la faute, du vice, le poids et la responsabilité des parents sur un enfant, le couple… la vie en somme.


Ce livre est pour moi un chef d’œuvre. Il arrive à nous tenir en haleine (malgré quelques petites longueurs) avec rien d’autre qu’une gigantesque digression. Et c’est dans ceci que réside son originalité et sa force. On oublie la digression ! On oublie que l’homme réel est Nathan et l’homme fantasmé Swede. C’est tellement bien écrit que nous suivons Swede en oubliant les 100 premières pages introductives sur Nathan Zuckerman. Ce livre est un voyage existentiel fantasmé, dont il est pour moi impossible de rester indemne. Que l’on n’ait que faire du processus de fabrication de gants, du concours de Miss America ou de la guerre du Vietnam, ce ne sont que des morceaux qui servent à bâtir le décor des Etats-Unis dans les années 1960, et quel décor !


La critique est pour moi double, tant sur la rigueur et l’étroitesse d’esprit des ainés que le laxisme et la « vaine » quête de liberté des nouvelles générations. La remise en question perpétuelle de Swede (à travers Nathan) permet cette ambivalence. Mais plus que la critique sociétale des US, c’est une descente aux enfers personnelle à travers le cauchemar de tout parent : un enfant rebelle qui commet un attentat. Heureusement, le traitement du sujet est tellement universel qu’il ne concerne pas seulement les parents, mas bien chacun d’entre nous.


Je ne conseillerai pas ce livre à tout le monde, tant il est dur. Dur car cru, vrai, allant chercher vos tripes que vous en soyez conscient ou non. Je mentionnai une souffrance à la lecture de ce livre et c’est vrai dans le sens où les moments de répits sont brefs et souvent déguisés : De nouvelles digressions sur l’usine de fabrication de gants, sur les souvenirs de Dawn lors du concours de Miss America… Ce sont souvent des moments de respiration déguisés car ils ne servent qu’à mieux décrire le personnage ciblé et à appuyer sa détresse. C’est pourquoi on avance au fil des pages en retenant presque son souffle en se demandant si Swede va pouvoir endurer une nouvelle épreuve, et nous avec lui.


La fin du livre, que je ne dévoilerai pas, est absolument magnifique et frustrante à la fois. On tourne presque la page de nouveau pour vérifier si l’on n’aurait pas loupé une page par inadvertance.
J’irai voir le film de McGregor cette semaine, mais je ne vois pas comment il va pouvoir retranscrire tous ces schémas de narration différents avec autant d’ironie, de cruauté et d’intelligence. Peut-être ne choisira t’il qu’un des schémas et réussira, mais j’ai peur de manquer d’objectivité sur le sujet…


Par pitié, si vous n’avez pas l’âme trop sensible, lisez ce livre !

EleanorR
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le 30 déc. 2016

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Eleanor Rigby

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