Pleins de Vie
7.8
Pleins de Vie

livre de John Fante (1952)

Je viens d'achever Pleins de Vie du Dieu littéraire qu'était John Fante. J'en ai les yeux humides par tant de banalité, par tant d'ordinaire, par tant de vie...


Ce roman hautement autobiographique le met en scène, avec sa femme, Joyce, enceinte, et son père... Ce dernier vient faire des travaux dans leur maison. Maison qui est un élément central du roman, tout comme la relation père//fils, la religion, la grossesse d'une femme.


Fante narre, comme personne ne sait le faire, la banalité de la vie ordinaire, les questions que pourraient se poser monsieur Toutlemonde, les situations que tout un chacun pourrait rencontrer. Il a cette façon touchante et détachée de décrire la relation qu'il entretient avec son père ; dans laquelle je me retrouve parfois, personnellement ; que je n'ai trouvé chez aucun autre auteur jusqu'à présent.


Pleins de vie est un cocktails des tourments qu'a eu Fante tout au long de son existence, tourments qu'on peut tous, éventuellement, avoir. C'est dans cela que ce roman est si exceptionnel : on parvient tellement à se mettre à la place de Fante...


Un nouveau Fante dans ma collection, une nouvelle pure merveille pour moi. Cet auteur est, selon moi (et M. Bukowski), bien au-dessus de tout autre auteur qu'ait connu cette Terre.
Aussi, dès que vous voyez John Fante sur une couverture, foncez sans hésitation !


Voici quelques extraits assez délicieux :


Ç’a été pour moi une étrange période. Je m’asseyais à côté d’elle, incapable de prier ou de formuler un sentiment quelconque à propos du Christ. Pourtant, tout remontait, les vieux souvenirs de mon adolescence, quand ce lieu frais et mélancolique signifiait tant de choses. Joyce avait toujours cru que je rejoindrais avec elle le giron de l’Eglise. Cela lui paraissait évident. J’allais retrouver l’ancienne ferveur, tendre à nouveau les doigts de mon âme vers le ciel pour saisir l’immense et subtile joie de la foi. Elle me semblait toujours là, il me suffisait sans doute d’avancer vers elle en cédant au désir murmurant, et elle m’envelopperait dans le vaste réconfort du sein divin. (…) Telles étaient mes pensées tandis que j’étais assis à côté de ma femme. Cela, et la découverte progressive de mon erreur, car il n’était pas facile de retourner vers son Eglise ; certes, celle-ci était toujours disponible, inchangée, mais c’était moi qui avais changé. Le passage des ans m’avait recouvert d’une montagne de sable. S’en extirper n’était pas une mince affaire. Pousser un maigre cri et se sentir entendu n’était guère plus facile. Assis à côté d’elle, j’ai compris que tout cela serait très difficile. Non, j’ai compris que ce serait presque impossible.



  • "Toi, va faire bouillir de l'eau en bas".

  • "Pourquoi?"

  • "Fais ce que je te dis".
    Je ne parvenais pas à bouger. Depuis ma plus tendre enfance, je savais qu'en pareille situation on faisait bouillir de l'eau. Mais à quoi pouvait-elle bien servir?


"Tiens, papa. L'histoire d'oncle Mingo."
J'ai jeté la liasse de feuilles sur le papier à dessin.
Il a ramassé mon manuscrit et me l'a rendu.
"Garde ça pour le gosse."
"Tu ne veux pas la lire ?"
"Ca me servirait à quoi de la lire ? Bon Dieu, petit, moi je l'ai vécue."


Papa était debout près de la fenêtre de la salle d'attente. Quand j'ai posé la main sur son épaule, il s'est retourné. Je n'ai pas eu besoin de parler. Aussitôt il a pleuré. Il a posé la tête sur mon épaule, et ses larmes m'ont fait mal. Je sentais les os de ses épaules, les vieux muscles tendres ; je respirais l'odeur de mon père, la sueur de mon père, l'origine de ma vie. Je sentais ses larmes brûlantes et la solitude de l'homme et la douceur de tous les hommes et la beauté infiniment douloureuses des vivants.


Alors le moment que je redoutais est arrivé. J'ai regardé ma femme. Il y avait des étoiles dans ses cheveux ; des étoiles dans ses yeux si récemment noyés de larmes, des étoiles qui brillaient maintenant de bonheur. Il semblait absurde que sa conversion la métamorphosât de la sorte, mais c'était pourtant le cas. Elle n'était plus l'ancienne Joyce. Elle n'était même plus la Joyce d'une heure plus tôt. L'alchimie de cette transmutation demeurait un mustère, mais je la sentais, je la voyais, je la constatais. Je découvrais une nouvelle maturité, une sorte de féminité inédite et sans rapport aucun avec sa grossesse ; une tradition, une identification à l'Eglise, au grand respect du dogme catholique pour les femmes, une élévation de Joyce vers ce qu'enfant, je ressentais pour la Vierge Marie. Nous nous sommes regardés, et elle a compris que j'avais senti ce changement, ce grand bouleversement de sa personnalité. Nous nous sommes regardés, et chacun a su que cette soirée était à marquer d'une pierre blanche, que notre existence commune était terriblement importante, terriblement sérieuse. Mais ç'a aussi été un moment de tristesse, car j'aimais l'absurdité de la vie, ses futilités, ses sottises, et tout cela désormais était derrière nous.


"Pourquoi cette salopette?"je lui ai demandé. Il s’est regardé.
"Qu-est ce qu'elle a ma salopette?"
"Tu n'as pas le pantalon qui va avec la veste?"
"Je l'aime pas".Il était assis à la table de la cuisine,rasé de près, le visage talqué.Une raie impeccable séparait ses cheveux.Au dessus du col de sa chemise noire son cou semblait sur le point d'éclater, tant sa cravate le serrait.Il avait néanmoins l'air distingué de qui entame un long voyage."Il est têtu comme une mule",a dit Stella."Il ne veut surtout pas avoir l'air propre" "Mais je suis propre.Tous mes vêtements sont impeccablement propres"
"Enfin,une salopette! dans un train"
"Je voyageais déjà en train alors que tu n'étais même pas né. N'essaie donc pas d’apprendre à ton père comment on voyage en train"
Je trouve ton allure de vieux poseur de briques parfaitement superflue."
"Tu as quelque chose contre les poseurs de briques?"
"Que dirais-tu du costume gris" j'ai proposé.
" Il te tiendrait sans doute moins chaud dans le train." Alors, rubicond et furibard,il s'est levé. " Tu veux que j'aille voire ta maison,oui ou non?Tu veux que je t'aide?" Je le désirais sans aucun doute.
" Cesse donc de me donner des conseils vestimentaires.Tu es moins futé que tu parais,ne l'oublie pas.Acheter une maison bourrée de thermites!"
Cela a mis fin au débat.


Pourquoi ces malheurs arrivaient-ils à John Fante ? Qu'avais-je donc fait pour bouleverser le rythme des étoiles ?


Assis à côté d'elle, j'éprouvais la sensation délicieuse de penser différemment.



  • Au nom du ciel, pourquoi donc t'ai-je épousé ?
    Je restais tranquille en souriant bêtement car moi non plus je ne savais pas pourquoi, mais j'étais très content et très fier qu'elle l'ait fait .

didizimzim
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le 1 oct. 2018

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Dmitri Fantski

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