Sur l'asphalte vieilli, le moteur de la navette fait vibrer l'air. Monsieur Pervenche, au garde-à-vous, se plie bon gré mal gré aux exigences du départ. L'agent de sécurité, un homme sans âge dont le menton et les sourcils forment d'épais bourrelets, passe son détecteur sur la combinaison serrée de Monsieur Pervenche. Celui-ci fait tout son possible pour ne pas craquer et enlever cette combinaison en nano-plastique mal réglée, qui lui colle à la peau comme ces gants que les gens du XXIème siècle prenaient pour faire le ménage.


Sur un signe de tête, le voilà libre. Il monte par la petite porte juste derrière l'habitacle. Il soupire de satisfaction en constatant qu'il est, après des jours passés dans les villes imposantes et les ministères bondés, enfin seul. Son vaisseau décolle. Il sent peu à peu la pesanteur du monde s'éloigner de lui, de plus en plus loin en dessous. Des nuages passent devant les visières de l'appareil. Hormis les quelques signaux qu'émettent parfois son tableau de bord, tout à l'intérieur n'est que calme et voluptueux silence. Mais pas luxe : les vaisseaux fournis par les ministères ne sont pas conçus pour ça.


Le pilotage automatique enclenché permet à monsieur Pervenche de passer dans sa cabine. Il y ouvre la petite mallette pleine à craquer de dossiers. Monsieur Pervenche déteste ne pas finir totalement un travail avant d'en entamer un autre. Ses yeux parcourent les innombrables témoignages qu'il a put recueillir pendant son séjour.


Toutes les personnes qu'il a rencontré étaient exceptionnelles. Mais étrangement, il lui a plusieurs fois semblé que les robots étaient plus humains que leurs créateurs. Surtout plus curieux, plus inventifs, plus désireux de s'accomplir en tant qu'être. Toute cette planète était une "critique à ciel ouvert" de ce que la civilisation peut engendrer de repli sur soi, de confort facile et de décadence intellectuelle. La technologie y donnait tout, et l'on y désirait plus rien.


Cependant que les humains s'y endormaient, les robots, eux, s'amélioraient sans cesse, selon les schémas pré-établis par leurs trois lois. Plus que tout, ils voulaient comprendre ceux qu'ils devaient protéger et servir. Se rapprocher d'eux et même leur ressembler. Et les humains de se méfier, de ne pas supporter les essais de leurs créatures pour dépasser leurs créateurs. A mesure que Monsieur Pervenche relit ses rapports, les mêmes questions lui montent : qu'est-ce qui finalement fait de l'humain un être à part? Une machine peut-elle acquérir une humanité? La technologie entraîne-t-elle nécessairement la décadence, si la mentalité des créateurs n'évolue pas?


Tandis que Monsieur Pervenche se penche sur ses délicates questions, une ombre se glisse sans bruit dans le poste de commande. Ses mouvements rapides et assurés désactivent le pilotage automatique et actionnent le dispositif de gravité artificielle si vite que Monsieur Pervenche ne sent pas la différence. Pas plus qu'il ne sent les légères secousses qui accompagnent la traversée de l'atmosphère du vaisseau.


Lorsqu'il émergea enfin de l'écriture de son rapport, le nouveau pilote avait fini ses calculs. Monsieur Pervenche ne comprit pas tout de suite ce qui le jeta sur le sol de sa cabine. Le vaisseau venait de faire un bon droit dans l'inconnu.

M-Pervenche
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le 15 juin 2017

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