Je remercie les éditions ADA pour leur envois de ce service de presse à notre librairie.


Jasmine ne se remet pas de la disparition de Christophe, son conjoint décédé dans un accident d'automobile. La jeune femme de 26 ans se fait pousser à s'inscrire par sa meilleure amie à une agence très particulière,Prince Charmant.com, qui propose à des tarifs peu raisonnables de vous monter le scénario romantique de vos rêves. 15 jours de "Grand amour", ni plus ni moins. Vaguement convaincue que cela l'aidera à sortir de son état morose et à profiter d'un peu de tendresse, elle accepte. Elle choisit le scénario de "L'étranger ou le beau danseur", un conte québecois, alors que son amie Cyndi opte pour celui de "La petite pantoufle de verre". Mais quand le jour J arrive, ce n'est pas un, mais deux individus qui pourraient correspondre à son "prince". Comme les acteurs ne peuvent révéler leur statut, question d'être réalistes, Jasmine fait le pari de tester les deux, mais en cherchant à connaitre la vérité sur qui est qui, elle pourrait bien soulever des secrets bien gardés sous la moquette, et pas seulement par ses deux "prétendants", mais aussi par ses meilleurs amis. Sauf qu'au jeu des apparences et des mensonges, on risque d'y perdre pied.


"Prince charmant.com" n'est pas sans rappeler un service d'escorte de luxe, mais avec la dimension "Conte" qui lui est greffée. Un peu à la manière de "Host club", un manga dans lequel, dans une école pour extrêmement nantis, des jeunes filles pouvaient "acheter" du temps avec l'un ou l'autre des six plus beaux spécimens mâles de l'école, de vrais "princes charmants" jouant chacun un rôle selon un trait de personnalité princier distinct. Il est clairement mentionné dès le début 'que ce n'est rien de réel. C'est un jeu, une pièce de théâtre grandeur nature. La "cliente" choisi son conte, aura 15 jours d"Amour avec un grand A et après, fini, interdiction totale de revoir ledit "prince". Donc, un gros show de boucane à fort tarif supposer combler les besoins affectifs de leurs clientes. Le genre d'expériences qui doit créer des dépendances affectives, si les clientes n'en souffrent pas déjà.


Je vis beaucoup d'ambivalence suite à cette lecture. Il y avait beaucoup d'éléments qui se croisait, notamment deux triangles amoureux, dont un des trois prétendants à la demoiselle principal est un foutu cinglé qui tient à la fois du prédateur et de l'homme violent. Ish. Je ne pensais pas que ça allait devenir si compliqué! Pour reprendre le thème du conte québecois "La légende du Diable à la danse", je dirais que c'était une danse endiablée ce roman, et ça donne un peu le tournis. Il y a trois axes amoureux quand même! Celui avec "le prince" ( l'acteur engagé à cet effet), le "meilleur ami" et "Le diable" ( ce personnage dont on ignore encore s'il est le véritable prince ou celui qui est là par hasard). Ça faisait beaucoup à gérer.


Il y a un élément qui m'a semblé moins claire parmi le nombre important d'informations à saisir: Le scénario, pas celui du roman, celui de l"Agence Prince Charmant.com. Selon le choix de Jasmine, qui a opté pour "La légende du Diable à la danse" ( ou "La légende du beau danseur"), c'est donc un "prince ténébreux" , incarnation du Diable, dans ses beaux vêtements sombres, ses chaussures à 500$ et sa grosse bagnole onéreuse, qui aura du avoir la vedette, pas l'autre prince très typique, qui devrait incarner le fiancé inconduit du conte. Comme je connais le conte évoqué, c'est donc ce que j'imaginais. En même temps, pour la même raison, je me doutais qu'il y aura non pas un, mais deux acteurs, justement à cause du conte d'origine. Même constat pour le scénario "Cendrilon" de Cyndi, la meilleure amie. Son "prince" avait l'entregent d'un spaghetti mou et le charisme d'un lampadaire. Mais qu'est-ce que c'est que cette agence pas sérieuse? Dommage, c'est l'aspect du roman qui avait l'air amusant.


Coté références, elles abondent. Que ce soit les nombreux intertextes, les citations, les noms de personnages et des lieux pratiquement tous issus de l'univers des contes, les divers incursions dans les univers de la poésie, de la littérature, du cinéma, de l'astronomie et des légendes. Mais tout ce fatras d'informations rendait le tout lourd. Faire le lien entre tous ces éléments fut quelque peu ardu. Il fallait gérer le triangle composé de Jasmine avec ses deux potentiels princes, celui entre elle, sa chum et son chum de gars, le scénario du conte, l'auteur préféré de Jasmine, l'accident de son anciens copains, un stalker de l'école secondaire...oula! Heureusement, après l'avoir achever, tout semble concorder, merci à cet univers étonnamment petit où tout le monde est étroitement lié parce que tout le monde se connait. À peu près personne dans ce roman n'a jouer franc jeu, mais ils sont TOUS liés! Chapeau! ( Notez les sarcasme)


Il y a aussi beaucoup de thèmes. Un majeur est le deuil: Jasmine a perdu son copain dans un accident, en même temps que celui de sa meilleure amie. Dans le processus, les deux jeunes hommes ont fauché la vie d'une petite fille. On a donc une héroïne qui tente de se refaire une vie, qui se sent responsable ( parce que la petite fille en question est la petite fille de sa patronne) et qui a une amie dans la même situation. Elle a du mal à imaginer une relation future et pense ne jamais en guérir. D'où l'idée de se payer une "cure sentimentale" ( qui n'en est absolument pas une). Mais je ne vois pas les différents stades d'acceptation, c'est donc peu aboutie comme thème. Je trouve même que Jasmine s'est fait beaucoup de mal inutile avec cette histoire. C'est malheureusement le genre de personnage qui se met les pieds dans les plats toute seule et qui n'a pas assez de jugeote pour en sortir elle-même.


Je ne suis pas sure de trouver tout ça très...sain? Non en fait, maintenant que j'ai fini le roman, je suis malaisé. Il me semble que le principe même de "prince charmant à louer" donnait d’emblée le ton d'une panacée pas très efficace à une blessure très profonde. Mais au lieu d'aller en ce sens, d'illustrer quel point l'idée du "prince charmant" est plutôt surfait et fantasmé, on réalise que l'un des acteurs est un foutu sociopathe et que l'autre est le grand amour tant attendu. Et ben, quelle chance! Il y avait bel et bien un prince charmant, et ce dernier a même un rôle supplémentaire: c'est une personne idolâtrée par notre héroïne! Ça fait drôlement beaucoup de qualités pour un même gars, en plus de sa belle apparence et de son charme fou. Et qui devait, en théorie, ne plus jamais se voir...


En fait, toutes les règles et les promesses faites par l'Agence n'ont pas tenues, en fin de compte. Côté "anonymat et mystère", c'est complètement raté. Il faut dire qu'il y a eu beaucoup de "réalité" qui s'est immiscé dans le scénario. S'il y en avait un. Parce que je ne l'ai pas senti du tout. Du reste, que ce soit l'acteur sensé être le vrai prince ou l'autre ( celui qui n'est pas un acteur, mais en fait, s'en est un) ils étaient en réalité pas très entreprenants et souvent hors décor.


Donc, tout le volet "Agence", le scénario et les acteurs, c'était pas très réussi. Même le "prince" loué par sa meilleure amie était médiocre. Si le but était de vendre du rêve, c'est vraiment raté. J'ignore si c'était le but de l'auteur, mais toutes choses relativisé, on passe bien plus de temps dans les imbroglios sentimentaux de peut-être-vraie-personnes qui sont parfois des personnages que dans le "scénario" de l'agence. Beaucoup de mensonges, beaucoup de mauvaises décisions, des relations à la communication très défaillante, beaucoup de chassé-croisés maladroits entre qui est qui et qui fait quoi et qui manipule qui. Un casse-tête digne d'Occupation Double.


Jasmine, l’héroïne, ne m'a pas convaincu. Elle ne correspondait vraiment pas au "client type". Oui, elle est désespérée, elle passe son temps à nous le dire et vu son comportement illogique et imprudent, je lui concède volontiers. Elle se trouve stupide, là aussi je suis d'accord. Je ne calcule pas le nombre de mauvaises décisions qu'elle a prise sous le charme de l'un ou l'autre de ses prospects. Elle n'était absolument pas capable de jouer le jeu. Tout comme sa meilleure amie, d'ailleurs. À quoi ça sert de se payer des acteurs professionnels pour jouer les princes si les clientes se montrent désagréables, entêtées quand à savoir s'ils sont les princes envoyés par l'Agence ( ce qu'ils doivent nier, pas soucis de réalisme) et ne passe que quelques jours avec eux, tout comptes fait? Comment peuvent-elles espérer vivre leur trip si elles ne les laissent pas jouer leur rôle, bon sang! Et il apparait que notre héroïne se comporte en princesse Disney: elle tombe amoureuse en moins de quelques jours.


J'avais l'impression de lire trois histoires emboitées: l'une sur deux filles qui se sont loués des beaux bonhommes, l'une sur une jeune fille qui vécu un cas de harcèlement par un gars trop entreprenant et possessif qui ne sait pas distinguer l'amour de la prédation, et l'une sur une fille endeuillée, dont les deux meilleurs amis trainent des squelettes dans le placards à grand coups de mensonges et de non-dits. Le sociopathe du secondaire, il était prévisible à un certain point.


Je ne suis pas fan d'histoires de mensonges, surtout à ce degré, parce que c'est malsain et que trop souvent, même si les menteurs se font démasqués, ils s'en sortent plutôt bien. C'est navrant. Mais ici, il y a tout le volet "théâtral" payé, qui fini malgré tout en amour véritable, qui me met également mal à l'aise. Je ne calcule plus le nombre affligeant de "romances" qui se basent sur cette prémisse, que "quand le mensonge devient trop vrai" il devient un sentiment vrai...heu...et l'amour sans confiance, c'est supposé exister? Ah! Si, ça s'appelle un "coup de foudre", mais ce n'est pas de l'amour.


Un aspect qui me déconcerte aussi est toutes ses mentalités artistiques qui se croisent, des malsaines comme des censées. Les histoires de marin, d'auteur, de Diable, de poètes écorchés...à un certain point, je me suis perdu. Il y avait trop d'axes, trop de non-dits, trop de figures de styles compliqués entre tout ça, je ne voyais pas de finalités. Un peu comme si on avait des poupées russes aux morceaux mélangés ensemble et qu'ils ne s'emboitent pas tous. Les intertextes n'avaient pas toujours de liens, nous envoyait sur de nombreuses fausses pistes. Il y a des tas de contes dont on capte des morceaux sans savoir quoi en faire. Aussi, à un moment, l'acteur qui joue le "Diable" devient "Le prince Noir" qui devient "Le faire-valoir de l'autre prince"...mais ça n'a pas de sens. Le Diable, c'est l'incarnation même de ce tout ce qui est attrayant, alors comment une telle incarnation peut faire de la lumière une incarnation comme le prince charmant? Ça aurait été peut être logique dans un cas de figue comme le Lac des Cygnes, avec un Vilain vraiment salaud et un prince réellement gentil, mais on est dans le conte du "Diable danseur", c'est l'inverse! Bref.


Je comprend l'idée que les gens ne sont pas ce qu'ils semblent être, avec ici un prince qui s'avère être un trou-de-cul foutrement malsain et un "ténébreux" au cœur d'or façon Monsieur Darcy...mais le problème, c'est le contexte de jeu. Comment prendre quoi que ce soit au sérieux à travers un "scénario" ( même si ledit scénario n'est pas claire)?


L'idée aussi que l'amour n'est pas logique est au cœur du récit, mais là encore, c'est un message plus ou moins cohérent. Déjà, vu le niveau de tendresse et de confiance qui existe entre les personnages, c'est étonnant qu'ils soient encore amis...alors amoureux? Le triangle entre les trois amis était étrange, mais ça n'a rien d'étonnant, vu qu'ils ne sont pas honnêtes les uns envers les autres et se parle de manière agressive. C'est un peu ce qui me dérange: Si l'amour est synonyme de souffrances, c,est peut-être pas tant de l'amour que de la fixation, voir de l'entêtement. Ou de l'obsession? Honnêtement, je n'ai vu aucune relation convaincantes ici. Elles sont toutes malsaines à certains degrés, certaines plus que d'autres. Et oui, l'amour, le vrai, requiert de la confiance, de la complicité, de l'empathie et de la saine communication, choses qui leur ont tous fait défaut. Sauf Madame Merryweathers, elle a une bonne empathie.


Côté plume, je dirais que c'est prenant. Je l'ai deux en deux temps, ça se lit bien. Il y a un niveau de dialecte québecois très présent, beaucoup d'injures et de "slangs", en anglais aussi. Je me suis retrouvé avec des tas de point d'interrogations à la fin quand à la nature des sentiments et des comportements des personnages, mais au niveau du scénario, tout semble bien s'emboiter.


Un dernier détail que je souhaite répertorier ici est que l'idée de départ était bonne. En effet, les services d'escorte existent pour de vrai et ce qui est aussi malheureusement vrai, au-delà du côté sexuel de la chose, c'est le besoin affectif de certaines personnes qui souffrent de solitude. Ce n'est pas pour rien que les arnaques du genre "amoureux lointain en détresse financière" fonctionne si bien: beaucoup de gens sont prêtent à payer pour un peu d'attention, de tendresse et d'affection, même feinte. Cette dimension là était intéressante et n'a malheureusement pas été exploitée davantage. Parce que c'est probablement ce que l'agence va récolter de toute manière: des femmes désespérées, seules, malchanceuses en amour ou incapable de trouver des bons gars. On aurait pu explorer cette dimension des relations, le rapport à l'apparence souvent biaisé, la difficulté relationnelle, la violence domestique même! Plusieurs thèmes ont été survolés, mais on est resté sur les trucs les plus superficiels et les plus immatures.


"Prince Charman.com" se cantonne donc aux mêmes standards qui prévalent en littérature sentimentale: une héroïne super belle, mais pas brillante, deux ou trois mâles en compétition, des sentiments pas très nobles et peu profonds, rapidement délivrés, un scénario qui tourne autours des relations amoureuses ou amicales, beaucoup de chamailleries entre les personnages et un certain degré de manichéisme ( tout blanc/tout noir). Une qualité que lui trouve est le fait qu'il met en lumière un conte québecois ( même si les contes québecois ont malheureusement la propension à faire passer les femmes pour des idiotes). Il y a avait des idées de base intéressantes, mais selon moi, mal exploitées. Je conviens que la construction du roman est bien, peut-être un peu trop d'intertextes pas pertinents et de citations, mais efficace sur le rythme et la structure.


Je ne crois pas, dans quelques mois, que je serai capable de me souvenir de ce roman, parce qu'il ne m'a pas marqué et que les imbroglios sentimentaux sont si tous similaires qu'ils deviennent flous dans mon esprit. Je ne suis peut-être pas le bon type de lectrice pour ce genre de roman, qui lit avec le cerveau toujours très alerte. Il serait peut-être mieux pour celles et ceux qui aiment lire sans se poser de questions et qui apprécient les personnages qui s'empêtrent dans leurs propres sentiments.


Pour un lectorat Jeune Adulte, 17 ans+.


Pour les profs et les bibliothécaires: Contient des termes injurieux, en québecois et en anglais, aucunes scènes sexuellement explicites, mais quelques allusions sexuelles.

Shaynning

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