Prophet Song
Prophet Song

livre de Paul Lynch (2023)

Fraichement auréolé du prestigieux Man Booker Prize 2023, « Prophet Song » de Paul Lynch est présenté comme un roman dystopique dans lequel une Irlande contemporaine glisse du libéralisme au totalitarisme entrainant, au passage, une guerre civile dans le pays et notamment dans les rues de Dublin. Étant vendu comme intense, réaliste, original, incontournable et un paquet de superlatifs qui font saliver, je me suis empressé d’acheter ce livre dont la hype m’a instantanément convaincu. 300 pages plus tard je me retrouve bien ahuri, mais pas de la manière dont je l’avais imaginé. Histoire d’une déception en trois points :


- Une originalité en forme de déjà-vu :


L’une des ambitions du livre est de poser la question « et si demain ça arrive chez nous ? ». Imaginez, vous êtes tranquille en train de profiter en scrollant votre iphone dans votre pavillon urbain avec votre famille nucléaire tendance classe moyenne supérieure quand soudainement le gouvernement vient vous inquiéter à propos d’une grève à laquelle vous prévoyez de participer. De là, ça s’emballe sans que personne ne sache vraiment pourquoi. Ni les protagonistes ni le lecteur que ce soit au début du livre ou à sa fin. Et c’est là un premier point : à aucun moment le contexte n’est donné. Aucune information n’est précisée sur le gouvernement, aucune mise en perspective historique n’est faite, comme si l’Irlande était une page vierge. Et sur cette page vierge l’auteur couche des acteurs anonymes, apolitiques, atemporels qui se transforment très vite en des entités génériques. Une généricité qui va malheureusement charrier un certain nombres de clichés sur ce que font les gouvernements mais surtout sur la manière dont les personnes y réagissent. Ce qui m’a fait tiqué sur ce point a été de me rendre compte que je pouvais parfaitement visualiser l’action au fur et à mesure que je la lisais, non pas grâce à la vivacité de l’écriture (voir plus bas), mais parce que je connaissais déjà ces scènes. Je les ai déjà vu dans des films, déjà lu dans des livres, déjà entendues… Par exemple, vous voyez cette scène où la mère devient toute introspective devant son évier alors qu’elle regarde le jardin par la fenêtre bien placée devant elle? C’est filmé de dos, la caméra en légère contre-plongée, les couleurs sont froides, il y un filtre bleu. Cut sur un gros plan du visage en trois quart, en plongée cette fois, la lèvre qui tremblote, les yeux qui regarde au loin. Vous l’avez ? Bien sûr que vous l’avez. Vous l’avez vu cent fois, dans des séries, dans des films. Et cet évier vous allez y revenir beaucoup de fois dans les 200 premières pages. Peut-être il y va-t-il une intention de l’auteur à écrire son récit comme quelque chose d’universel, qui peut arriver n’importe où. Si n’importe où est en Europe de l’Ouest. Si n’importe où est en Irlande. Mais alors pourquoi avoir choisi l’Irlande ? Et puis c'est pas comme si l'Europe de l'ouest n'avait jamais connu de dictatures alors pourquoi prendre exemple sur la Syrie? D'ailleurs, transposer la situation Syrienne à l'Irlande pour maximiser l'empathie occidentale ne revient-il pas à blanchir les récits des victimes de guerre syrienne et contribuer par là à les invisibiliser ? N'est ce pas un peu douteux ? Et pourquoi combiner un fond hyper générique et une mise en scène ultra cliché? Est ce que c'est ça l’originalité ? Ce sont les réflexions que je me suis faites en me tenant face à l’évier, mes mains tenant toujours le bol que j’étais en train d’essuyer, le regard perdu dans le mur avant de me demander s’il ne faudrait pas mettre une fenêtre là.


- Karen va-t’en guerre :


C’est une chose de parachuter le lecteur dans un univers sans lui en donner les clefs. S’en est une autre de parachuter aussi ses protagonistes comme s’ils étaient nés sur la page 1. Problème, dans Prophet song, tout le monde à plus d’un an et personne ne vient d’une autre planète. Comme dit plus haut, personne ne sait ce qu’il se passe, pourquoi ni comment ça bascule. Des gens commencent à disparaitre, des listes d’opposants sont affichés, les gens deviennent hostiles, les rues deviennent dangereuses, l’inflation est en roue libre, l’eau devient rare… Crédible. Cependant, la manière dont ces éléments d'exposition sont amenés dans le récit se fait à travers les dialogues d'une manière totalement absurde. Les personnages s'expliquent les évènements les uns aux autres comme si les découvrait tout en disant que ça fait des mois que ca dure. En résulte une narration bancale où je me suis rapidement demandé qui du lecteur ou des protagonistes était pris pour un imbécile. Malheureusement, ce n'est pas le seul décalage. Eilish, protagoniste principale, mère de quatre enfants, scientifique, dont le mari s’est fait "abducté" par la néo-gestapo, essaie de garder tant bien que mal sa famille soudée (laquelle va de l'enfant de quelques mois au grand père atteint de sénilité) dans l’attente du retour de son mari quelle croie toujours vivant. Alors que tout le monde à des sentiments partagés sur la probabilité qu’un homme enlevé par les services de renseignement sur motif d’être un ennemi de l’état et que l’on n’a plus vu depuis 6 mois, soit encore en vie, Eilish, elle, n’en démord pas. Elle attend et elle attendra. Et les autres aussi. Si on passe outre le romantisme un peu douteux de la situation (et le fait que Eilish ne fera qu'attendre des hommes tout le roman sans que cela ne soit questionné) c'est surtout la manière dont Eilish navigue le récit qui m’a surpris. A aucun moment elle ne cherche à anticiper la situation, alors que l’auteur en a fait une scientifique, Eilish n’a aucun pragmatisme, elle ne pense pas à faire de réserves d’eau, ne cherche à se mettre en sécurité qu’une fois qu’elle est vraiment en danger, fait régulièrement les courses pour acheter… des cigarettes et du chocolat ? Alors que la ville est en état de siège ? Et que dire de la fille d'Eilish qui joue au solitaire sur son portable a un moment pas du tout adapté ? Et c’est là le second point qui m’a dérangé : pour un roman qui se veut réaliste, ni les situations ni les comportements ne sont ceux de personnes qui vivent en guerre. L’absurdité de certains passages m’a complètement sorti du livre et j’ai plusieurs fois eu l’impression que l’auteur n’avait pas fait de recherches sur la réalité de la vie en zone de conflit. Qu’il s’est contenté d’imaginer ce que ça pourrait être chez nous. Jusqu’à arriver à des scènes ridicules où Eilish regroupe toute sa capacité d’agir et… demande à voir le manageur. Après tout c’est vrai, c’est quoi ce souk, appelez moi le directeur. Ça passe une première fois au début du livre quand on refuse de lui délivrer son passeport. Ça passe beaucoup moins bien à la fin quand la moitié de la ville est en ruine et quelle se tient au guichet d’un hôpital remplit de cadavres et de blessés agonisants.


- Le sombre style qui assombri l’obscurité d’une histoire noire dans les ténèbres du livre foncé mais aussi sombre car assombri par le noir du ciel cafardeux qui est aussi sombre :


Ecrit dans un style poétique, le récit n’est pas avare en adjectifs ni en descriptions introspectives. Le narrateur omniscient sait ce qu’il se passe à l’intérieur d’Eilish et ne perd pas une occasion de tartiner son lyrisme sur les états d’âmes de son héroïne. Pas un problème en soit si ce n’est que dans ma lecture de Prophet song, ce style à souvent eu pour premier effet d’alourdir considérablement l’action, de minimiser les évènements. Si bien qu’arrivé au chapitre 8 où l’intrigue culmine, je me suis retrouvé complétement émotionnellement désinvesti, assommé par le style. Un deuxième effet est d’aboutir à des dialogues trop écrits pour sonner vrai. Exemples de conversations, posé dans la cuisine au calme:


“This is not a time to speak, she says, but a time to keep silent, everybody has grown afraid, our husbands have been taken from us and placed into silence, there are times at night when I hear this silence as loud as death but it is not death just arbitrary arrest and detention […]”


“My sister has done next to nothing for my father, what my father needs is to remain at home, to be surrounded by his memories, to have the past within reach, in time there will be nothing left to him but shadows, a strange dream of the world, to send him into exile now would be to condemn him to a kind of nonexistence, I cannot allow that to happen.”


Marlon James, autre lauréat du Booker Prize (que je recommande fortement) évoque régulièrement, dans ses interviews, l’importance de prononcer les dialogues à voix haute lorsqu’on les écrits afin d’arriver à rendre un phrasé authentique. C’est cette authenticité que je n’ai pas ressentie chez Lynch et qui à contribué à alimenter le manque de crédibilité qui m’a gêné lors de ma lecture. Aussi il y a vraiment une surutilisation de « Dark, darken, darkness » que l’on retrouve toute les deux lignes et qui, une fois qu’on en devient conscient, devient franchement comique.


En somme, Prophet Song est un livre pour lequel j’avais beaucoup d’attentes et qui m’a profondément déçu. Une déception qui m’empêche pour l’instant de voir les éventuels aspects plus positifs et qualitatifs du titre. Pour moi il s'agit d'un livre à l'écriture prétentieuse, qui réduit son worldbuilding à une intention douteuse et se regarde trop écrire pour qu'on y croit. Toutefois devant le succès rencontré par ce livre et devant l’engouement qu’il suscite je pense qu’il est important de s’y essayer. Si ce livre ne m’a pas touché peut-être qu'il vous touchera vous et que ce sera votre livre préféré et que je serai juste, comme dirait Paul Lynch : un sombre relou reclus dans le coin sombre de ma funeste maison devant la fenêtre obscure d’un mois de décembre sombre et chargé de sombre pluie triste tombant sur la morne pelouse de mon être mort et sombre parce que noir comme la nuit sombreuse de sombrorité sombreneuse.

V-the-Villain
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le 13 déc. 2023

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