Rock, Algérie, pacifisme : une uchronie algéroise

Rêve de gloire avait été encensé à sa sortie en 2011 et a même récolté un flopée de prix : Grand prix de l'imaginaire ; Prix Rosny Aîné et le prix européen des pays de la Loire (utopiales de Nantes), pour ne citer que les plus connus.

Le moins qu'on puisse dire après l'avoir lu, c'est que tout cela est amplement mérité. Ce roman ne peut qu'accentuer le sentiment de gâchis quand on pense au décès de Roland C. Wagner en août dernier.

Rêves de gloire est une uchronie dont le titre fait écho à Rêve de fer, autre uchronie de Norman Spinrad, lui-même grand ami de Roland C. Wagner. Un titre en forme de clin d'œil donc.

La particularité de Rêves de gloire, c'est que le point de divergence n'est pas clairement établi. L'action se situe à peu près de nos jours (la date exacte n'est pas donnée), dans une Alger ne dépendant plus ni de la France ni de l’Algérie, la ville ayant déclaré son indépendance.
Le point de divergence le plus important du roman est l’assassinat du général de Gaulle en 1960. Dés lors, pas d’accords d’Evian et la guerre d’Algérie se solde par une partition de l’Algérie, la France conservant trois enclaves : Bougie, Oran et Alger.

Le roman, très imposant, foisonnant, est constitué d’un double récit. On y suit d’une part un collectionneur de vinyles en quête du disque « Rêves de gloire », un disque rarissime pressé à Alger dans les années 70 et, d’autre part, à travers des témoignages divers, les évènements ayant conduits à la proclamation de la commune libre d’Alger.

On alterne donc entre l’époque contemporaine et les évènements d’Algérie ou de métropole des années 60 – 70.

Le cours de cette Histoire alternative nous est donc révélé par différents personnages, dont certains sont récurrents, et qui brossent un portrait de la société française et algéroise (c’est ainsi que se nomment les habitants de la commune d’Alger) durant les décennies 60 – 70.

Cette histoire rappelle par certains côté les vraies années 70 (guerre du Vietnam, mouvements contestataires, pacifisme), la différence principale étant que les hippies américains ont leur pendant français : les Vautriens (amalgame de vaurien et de vautré).

Toute l’intelligence de Wagner est de proposer ce modèle français de contestataires, fait de déserteurs, de jeunes en quête d’un autre modèle de société et de musiciens marginaux et de le rendre crédible.

Le mouvement vautrien s’articule donc autour du rock psychodélique – ce n’est pas une faute de frappe, c’est le vrai nom du mouvement musical vautrien imaginé par Wagner –, de la consommation de la Gloire, une forme de drogue sensée mener à « l’ultime expérience » et de la non-violence.

On navigue donc d’un personnage à l’autre, passant au gré des narrateurs des milieux d’extrême droite, aux vautriens, au monde de la musique etc… découvrant à chaque fois un aspect de cette histoire alternative, et, reconstituant au fur et à mesure, le fil des événements.

C’est finalement par le biais du rock psychodélique que les deux parties du livre vont se rejoindre, ou plus exactement, se répondre, la recherche par le collectionneur du fameux « Rêves de gloire » semblant réveiller d’anciennes blessures et remuer de vieux souvenirs que tout le monde ne souhaite pas voir exhumer. À la grande Histoire d’Alger se superpose celle, plus petite de la conception de ce disque, sorte de testament du mouvement vautrien. C’est réellement ce disque, et la ville d’Alger, qui forment le fil rouge de ce livre.

Au final, une œuvre magnifique, véritable déclaration d’amour à la ville d’Alger, au rock, et au pacifisme. On retrouve dans ces pages l’humanisme caractéristique des textes de Wagner et son goût pour le jeu avec la langue française, encore accentué cette fois par le cadre algérien qui lui fournit nombres d’occasions de « croiser les effluves ». Une grande réussite et sans doute le meilleur roman de Roland C. Wagner.
M_le_maudit
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le 29 juin 2014

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