Quand j'avais seize, ou dix-sept ans, j'ai été traînée avec toute ma classe à la déchèterie de la ville pour que nous puissions chacun et chacune comprendre son fonctionnement, ainsi que son rôle dans la gestion de ce que nous jetions. Je me rappelle d'une dame arborant un chignon, vêtue d'un tailleur deux pièces en tweed qui nous parlait le sourire aux lèvres, comme si le lieu avait quelque chose de féérique, quand d'autres et moi en particulier nous tenions un tissu contre notre nez tellement l'odeur nous paraissait insoutenable. J'étais stupéfaite du contraste olfactif apparent, incapable de comprendre comment cette "guide" faisait pour parler d'un air si naturel quand l'atmosphère me paraissait suffocante, au point où une fois rentrer chez moi j'avais l'impression d'avoir été aspergée à mes dépends.


Rien de Grave a produit un effet similaire, une fois le livre refermé : malgré la taille relativement courte du texte (facilement achevé en trois heures), je me sentais sale d'y avoir mis le nez, comme si j'avais participé à un élan collectif d'avidité rattaché à une histoire "people" sur laquelle la presse à scandale s'était étalée en long et en large, tellement la réalité apparaissait cocasse. En une phrase, résumons la chose : Jean-Paul Enthoven présente sa compagne Carla Bruni à son fils, Raphaël, qui finit par partir avec en laissant sa femme d'alors, Justine Lévy (fille de Bernard-Henry Lévy) complètement dévastée, ravagée par le chagrin. Suite à cet épisode, Justine Lévy décide d'en faire un livre estampillé autofiction qui se vendra si je ne m'abuse à un peu plus de 100 000 exemplaires, le transformant en succès littéraire.


L'affaire en question n'occupe que peu de pages du livre, contrairement à ce que les multiples articles tentèrent de faire croire, assurant à ce moment-là une promotion assez mensongère de Rien de Grave. Si encore en temps que lecteur nous pouvions nous délecter de façon mesquine de la crasse des autres, des pauvres petits malheureux individus paumés aux comportements dramatiques comme nous regarderions un épisode de Tellement Vrai dans un élan de passivité, les moments passés à tourner les pages n'auraient pas été perdus. Il n'y aurait rien eu de glorieux là-dedans, loin de là, mais la lecture n'aurait pas été entièrement vaine. Malheureusement, non seulement il n'y a rien à sauver dans Rien de Grave, ce qui est quand même grave en soi, mais en plus Justine Lévy ne suscite aucune empathie.


Shootée continuellement au Xanax et aux amphétamines, Justine-Louise, telle qu'elle s'est prénommée dans son texte nous délivre ici un journal intime dont la pseudo tentative d'originalité pèche justement par l'absence de tout effort stylistique palpable. La chose n'a rien à envier aux premiers jets rédigés par des adolescent-es dont la lecture ne peut qu'être plus supportable. Il ne se passe au fond strictement rien, malgré des effets intéressants qui déstructurent la temporalité des évènements. On apprend juste que Carla-Paula est une pétasse, que Raphaël-Adrien passe son temps à faire le beau devant les autres, et que Justine-Louise se tape des types pour passer le temps, sans y être attacher plus que ça. Il n'empêche que Carla le "cyborg" est probablement la personne la plus sensée de cet ensemble : connasse, salope peut-être, refaite sûrement, folle ou hystérique non, droguée pas plus.


Rien de grave ne contient aucune remise en question, aucune réflexion sur l'amour, la mort, le couple, ni introspection quelconque. Quelques amorces sont enclenchées, mais la mauvaise foi plane telle une ombre sur le résultat final. Justine-Louise ne veut de toute façon pas réfléchir, préférant se dire à moitié morte et insensible en avalant des cachetons. Ce n'est pas grave, mais c'est déplorable.

-Ether
2
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Livres lus en 2015 et 2015 Reading Challenge

Créée

le 21 août 2015

Critique lue 827 fois

4 j'aime

5 commentaires

-Ether

Écrit par

Critique lue 827 fois

4
5

D'autres avis sur Rien de grave

Rien de grave
Miharuchan
6

Critique de Rien de grave par Miharuchan

Une déception qui n'en est pas réellement une. Disons que j'attendais certaines choses assez particulières de ce roman/autobiographie. Je pensais que Juliette parlerait plus de sa rupture car c'était...

le 27 sept. 2012

5 j'aime

2

Rien de grave
-Ether
2

La Nausée

Quand j'avais seize, ou dix-sept ans, j'ai été traînée avec toute ma classe à la déchèterie de la ville pour que nous puissions chacun et chacune comprendre son fonctionnement, ainsi que son rôle...

le 21 août 2015

4 j'aime

5

Rien de grave
BabethMamba
10

A Life-Saver...

Je ne compte plus le nombre de fois où j'ai lu ce livre. Enfin, "oeuvre" est plus adapté, "bijou", "joyau de la couronne", prenez celui qui vous fait plaisir. Je n'aime pas conseiller ce livre, car...

le 1 mars 2015

4 j'aime

3

Du même critique

La La Land
-Ether
5

Le marketing de la nostalgie

Le passé est une mode inébranlable. Combien de biopics, de regards sur des temps révolues, de modification de l’Histoire, de « c’était mieux avant » ? Des séries en ont fait leur fond de commerce...

le 2 févr. 2017

68 j'aime

11

The Lobster
-Ether
8

Sans couple, point de salut

Il y a quelque chose de rassurant dans le constat qui est fait qu'en 2015, on peut toujours produire et réaliser des films au scénario original, voir que le public y adhère et que des acteurs connus...

le 13 oct. 2015

68 j'aime

9

Tutoriel
-Ether
10

Tutoriel pour exporter vos données Sens Critique et les mettre ailleurs

J'ai eu du mal à trouver les informations à propos desquelles je rédige un tutoriel rapide, autant les partager au plus grand nombre. En espérant aider quiconque entamant la même démarche que la...

le 13 août 2020

58 j'aime

24