Cold Little Heart

Londres s'endort.
Loin de se soucier de ses habitants, la ville emplit ses rues d'obscurité et de froidure. Les lumières s'éteignent, la chaleur humaine s'efface, et chaque carré de pavé n'a plus qu'à écouler les quelques litres d'alcool renversés au cours de la soirée.

Dans cette nuit hostile, cachés du regard des honnêtes Londoniens, quelques types continuent de s'affairer, cherchant un refuge, un repas, un abri. Des vagabonds qui comptent les clopes restantes pour tenir la nuit, qui luttent contre un estomac qui hurle son besoin de bouffe, errant dans la ville en quête d'un coin où trouver le sommeil sans y laisser un orteil.

Parmi ces clochards, on trouve des vieux, des moins vieux, des jeunes, des cirrhotiques, des bronchitiques, tout un panel qui bat le pavé pour survivre encore une nuit à cette ville qui a décidé de fermer les yeux. Au sein de ce condensé de désespoir humain, un gosse de vingt ans arpente seul les allées Londoniennes.
Ripley Bogle qu'il s'appelle.

Un gosse déraciné de son Irlande natale, éloigné d'une famille qu'il méprise autant qu'elle le hait, enfant batard d'un père de passage et d'une mère lui vendant son corps, enfant battu d'une mère abjecte et d'un beau-père ignoble.
Aujourd'hui, alors qu'il se réchauffe en soufflant la fumée d'une de ses dernières cigarettes du bout des lèvres, Bogle nous emmène dans sa vie. Vie de clochard et vie passée.

Une vie qui trimballe ses souvenirs d'Irlande en Angleterre, entre le mépris, la haine, la révolte de ses jeunes années et l'espoir de son arrivée à Cambridge. Lui, le bouseux du fond de l'Irlande, le rustre fier et grande gueule, élevé au milieu de la crasse et du rejet, le gueux Irlandais qui devient une légende dans les murs de Cambridge. Beau, brillant, insoumis.

Dans le froid de ces nuits amères, Bogle conte ses aventures, son histoire, fantasme, enjolive, affabule, il réécrit la déchéance d'un prodige, ajuste ses contes, omet quelques détails, efface complètement quelques actions. Pourtant, son innocence le rattrape, le gamin menteur confesse ses errements nés d'une envie d'acceptation.

Dans un dernier élan désespéré, touché dans son âme et dans son corps par les horreurs d'une nuit britannique, il se dévoile enfin, craquèle le monument à sa gloire qu'était son récit.
Face à nous, un gamin qui doute. Perdu dans sa vie, errant dans le froid, toute sa fragilité et son humanité font jour brusquement.
Ripley Bogle, la tête basse, retourne dans sa vie de misère.
Trop tard, on l'aime.