Renoncement ou vraie sagesse ?

Sa-mar-cande ; trois syllabes qui ont fait rêver des générations d'écrivains, de poètes, et d'historiens. Si Benjamin Lesage est historien, il se passionne surtout pour le grand poète de la région, Omar Khayyam —chose assez naturelle si l'on considère que le manuscrit d'Omar Khayyam a été traduit et popularisé à l'international au moment de la naissance de cet orientaliste américain.

Mais alors, qu'y a-t'il de si extraordinaire dans ce manuscrit du XI-ème siècle qui puisse captiver le monde occidental presque huit siècles plus tard ? Il n'y est pas question ici de science, de mathématiques, ni même d'astrologie ; autant de disciplines qui ont fait la gloire d'Omar de son vivant. Non, ce manuscript est un "pet de l'esprit", ou —dit plus élégamment—, il l'expression sensible et le secret le mieux gardé d'un être au cerveau brillant.

Ce manuscrit recèle tout ce qu'Omar a de plus précieux, et qu'il ne peut pas dire. Soit que son propos soit trop irrévérencieux, ou bien trop inconséquent. Car si on lui reproche sa trop grande liberté de ton à l'égard de la religion, on s'étonne aussi de son manque d'engagement politique. À quoi bon écrire des Rubaiyat, ces "petits vers" inutiles ! Un homme de science de l'envergure d'Omar Khayyam devrait s'occuper d'affaires d'Etat de la plus haute importance, au lieu de perdre son temps à satisfaire ce qui, décidément, ne peut être qu'un caprice de son génie.

Et c'est là tout l'intérêt du livre d'Amin Maalouf ! Il nous donne à voir un Omar Khayyam très humain, à la fois sage et vulnérable, et nous invite à comprendre les choix parfois étonnants de son illustre personnage. En effet, comment ne pas s'étonner de le voir refuser l'or du sultan Séleucide, les honneurs de Nizam al-Mulk —qui voulait le nommer ministre—, et même l'amour de Djamadine ! Tant d'opprtunités manquées... Et pourtant Omar passe pour un homme sage ! Alors ce renoncement est-il une désertion, ou bien la marque d'une grande sagesse ? Pour le comprendre, Amin Maalouf nous fait entrer dans l'intimité d'Omar et de sa relation avec Nizam al-Mulk, Hussain, et Djamadine.

Nizam al-Mulk est le vizir du sultan Séleucides et véritable gouverneur de l’empire. Il est aussi l’ami d’Omar. Un ami puissant et influant qui lui offre un poste de ministre et une rente à vie. Si Omar accepte la rente —elle lui permettra de construire un observatoire et de se dédier à ses passions—, il décline poliment le poste de ministre. Par le biais de cette anecdote, Amin Maalouf nous introduit à un thème recurrent de la vie d'Omar : sa relation complexe avec la politique. Un mélange de haine (dégout et mépris) pour son sujet, et d'amour pour ses acteurs. Sentiment partagé par ces derniers, qui ne cesseront de solliciter son conseil aussi longtemps qu'ils vivront. Car s'ils mourront tous emportés par la tempête des événements qui entrainèrent la chute de l'empire Séleucides, Omar leur survivra, comme pour témoigner des événements dont il a été le témoin, souvent, et l'acteur, parfois.