Tout d'abord, je m'étonne que les Scènes de la vie de Bohème n'aient pas trouvé critique et plus ample intérêt ici. Alors que les poésies de Rimbaud et Baudelaire culminent dans les tops, c'est à croire que personne n'a prêté un oeil curieux à l'un des titres qui est le plus souvent revenu à ma lecture sur cette époque et qui a fait l'objet de maintes adaptations.


Publié comme feuilleton entre les années 1847 et 49, alors que Murger n'avait que 25 ans, le livre est donc découpé en épisodes introduisant d'abord les quatre personnages récurrents des Scènes (j'ai même envie de dire saynètes par leur caractère drolatique parfois) que sont Schaunard le musicien (ils sont inspirés de contemporains n'ayant pas ou peu connu la postérité), Colline le philosophe, Marcel le peintre et Rodolphe le poète (Murger lui-même). Tous plongés dans le Paris des années 40, sans le sou et fervents défenseurs de leur art, les récits se filent dressant des portraits d'artistes solidaires dans leur misère, aux moeurs légères mais hommes sensibles aux histoires de coeur. Ici chacun se prête un argent qu'il gaspille, les quittances sont envoyées au diable pour ne pas troubler la belle nuit dont on profite et tous tiennent le compte de leurs créances, lorgnant du coin de l'oeil la réussite, les salons du Tout-Paris et les toilettes bien mises. Les femmes sont aussi volages que les hommes et causent du soucis, des périodes fastes et courtes s'ensuivent les canapés des amis; entre parties de campagne et bottes limées sur le pavé parisien, le paysage brossé est complet.


Le style de Murger est élégant et ne manque jamais la belle métaphore et réussit même la coquetterie d'un humour incisif qui n'est pas sans me rappeler le ton désopilant de Bouvard et Pécuchet paru bien plus tard en 1881. La lecture est tout à fait plaisante et établit un témoignage de la vie d'artiste parisien de l'époque. Les épisodes de "Mademoiselle Mimi" et du "Manchon de Francine" sont particulièrement attendrissants tandis que le dernier chapitre fait le constat pragmatique de l'évolution de l'artiste qui réussit à intégrer enfin le milieu grand bourgeois et riche.


A l'instar de ses Bohémiens, Henri Murger décèdera à 38 ans alors qu'il a recu la distinction de Légion d'honneur deux ans plus tôt, dans la plus grand dénuement.

Albion
8
Écrit par

Créée

le 30 mars 2017

Critique lue 280 fois

6 j'aime

1 commentaire

Albion

Écrit par

Critique lue 280 fois

6
1

D'autres avis sur Scènes de la vie de bohème

Scènes de la vie de bohème
EtienneBernard1
8

Le club des joyeux bohèmes

On imagine souvent l’artiste ou le poète comme une sorte de chauve-souris : une personne sombre, mystérieuse, recluse sur elle-même. Ce n’est pas le cas de ces artistes auto-proclamés dans le roman,...

le 16 janv. 2022

Du même critique

Abraham Lincoln : Chasseur de vampires
Albion
10

Rendons Abraham ce qui lui appartient.

Comment vous expliquer ce sentiment. Lorsqu'en général sous vos yeux ébaubis s'inscrit une bande-annonce d'un film (disons ici qu'il s'agit d'un film d'action QUAND MÊME), on se sent très vite...

le 31 juil. 2012

45 j'aime

10

Le Feu follet
Albion
10

Si Rigaut meurt, Maurice Ronet.

Le Feu Follet est une adaptation entreprise par Louis Malle afin de lui éviter, a-t-il avoué, de ne mettre lui-même fin à ses jours. Le Feu Follet écrit par Drieu-La Rochelle suinte l'intimité des...

le 16 mars 2012

29 j'aime

5

Un homme qui dort
Albion
8

La victoire ne t'importe plus.

Un homme qui dort est l'une de ses rares adaptations dirigée par l'auteur du livre lui-même. Livre dont le film prend sa source afin de se mettre sur pieds. Un homme qui dort est par ailleurs un...

le 10 mai 2012

25 j'aime

5