TROMAL veille sur les alcooliques et les enfants.
Il n'y a pas beaucoup de livres qui m'ont réellement fait peur. Il y a eu quelques Barker, ses meilleurs, qui avaient le talent de mêler désir, excitation, douleur et angoisses. Stephen King, lui, m'a peut-être moins marqué sur ce point-là. J'ai été fasciné par certaines de ses histoires, parfois effrayé, mais de là à regarder autour de moi pour me convaincre qu'aucun monstre ne s'est extirpé des pages du livre, non. Du moins pas souvent. J'ai eu quelques grosses frayeurs dans « Ca », quand même.
On comprend mieux pourquoi « Shining » me faisait craindre le pire, et ne m'attirait (étrangement) pas. Une déception venant d'un auteur inconnu, auquel on n'est nullement rattaché, oui, ce n'est pas grave. Mais Stephen King ne pourrait pas me décevoir, me trahir comme ça ! Et si un de ses romans les plus célèbres (LE plus célèbre, devançant peut-être même Carrie?) se révélait être carrément désolant ? Le pas ne fut pas aisé à franchir (largement aidé par le « Doctor Sleep », récemment sorti, suite de « Shining »). Mais tout ce que je peux dire, c'est que ça en valait la peine.
« Shining » m'a terrifié. Voilà, c'est dit. Ce roman est un véritable chef-d'oeuvre, une perle d'horreur. Mais le limiter à un simple livre d'horreur serait un peu réducteur : c'est globalement un roman très maitrisé, tenant en suspens le lecteur comme peu d'autres livres peuvent le faire. On sent lors de la lecture que Stephen King l'a bichonné, ce livre, qu'il est travaillé jusqu'à l'ultime chapitre. Une grande harmonie se dégage de ces pages, une uniformité qui rend cette oeuvre encore plus inquiétante.
L'histoire, on la connait (non?). C'est une famille déconstruite dans un lieu qui se reconstruit perpétuellement : un père qui ne boit plus mais qui rêve de revoir les martiens coloniser son foie, une mère en systématique inquiétude (et elle a de quoi s'inquiéter, à bien y réfléchir) et un fils intelligent, d'une maturité impressionante, et ce parce qu'il possède le Don, lui permettant une connexion spirituelle avec le monde des esprits, des rêves et des cauchemars, des défunts et des évènements à venir. Bref, une sorte de médium. Toute cette petite famille va s'engager à passer l'hiver dans un endroit somptueux, l'Overlook Hotel, coupé du monde par les neiges et bien d'autres choses encore...
King tient du prodige lorsqu'il s'attache à décrire les visions de Danny, qui sont toutes terrifiantes, de cette litanie de coups de maillets à roque à la sempiternelle sentence TROMAL. Son écriture est extrêmement fluide et déclenche un hypnose grandissant lorsque la fin se rapproche, empêchant le lecteur de détourner son attention des dérives dramatiques de la famille Torrance. On retrouve dans ce roman les caractéristiques habituelles de King, notamment l'art de la répétition (les images qui vous assaillent, encore et encore, tout le long du roman) et ce géni à décrire des personnages complexes, avec un passé intégralement pensé et des réactions millimétrées. King les fait vivre, avec un naturel déconcertant, une facilité appuyant son talent, sans aucun doute. On connait bien les Torrance, du fait des longs monologues intérieurs des personnages, que l'on suit avec avidité. C'est cette manière de créer des personnages plus vrais que nature qui rend « Shining » à ce point intense. On pressent, avec Danny, les malheurs qui vont leur arriver, et on ne fait que redouter le pire, toujours le pire...
Le livre ne connait pas vraiment de baisses de rythme, si ce n'est un départ tranquille pour poser des bases essentielles au bon déroulement du roman. Il y a une densification certaine de l'horreur, de l'action dans le roman plus se rapproche la fin. Effectivement, la "présence" au coeur de l'Overlook Hotel, le « manager », se lasse de la présence dérangeante des Torrance, et ne cesse de convoiter ce jeune garçon et ses pouvoirs, Danny... Je suis arrivé à un stade extrême d'attention, à la fin du livre, ce qui ne fait que souligner la puissance de Stephen King, l'exactitude des mondes qu'il met en scène.
L'Overlook Hotel, personnage à part entière, est juste sublime dans son horreur. Isolé du monde rassurant des vivants, il suggère un monstre ayant happé les Torrance à tout jamais. Ses fantômes absurdes font frémir, et il y a cette claustrophobie assez fantastique qui s'installe. Pourquoi fantastique ? Autour de l'Overlook, c'est la grande nature, somptueuse, infinie, sans limite. Et pourtant, les Torrance ne peuvent pas bouger d'ici, sont cloisonnés par la neige. Dans un tel décor, je trouve le sentiment de claustrophobie assez bien amené, quand même.
Un quatrième personnage, dans ce roman, m'a été des plus sympathiques : Dick Hallorann. Je ne peux en dire trop sans spoiler, alors notons juste qu'il représente l'espoir et le courage lorsque les ténèbres s'abattent et s'appliquent à éteindre toutes les maigres lumières brillant dans les coeurs de Jack, Wendy et Danny.
Ma conclusion est sans appel, il faut absolument lire « Shining », et ne pas craindre son caractère « célèbre ». C'est un roman intense, d'une force rare, qui vous coupera le souffle. Et c'est aussi l'occasion, pour les amateurs ou non, de se faire vraiment peur. La peur n'est jamais futile, et encore moins désagréable à vivre si elle est joliment orchestrée. Il serait bête de ne pas lire « Shining » à cause de ça, c'est au contraire un de ses avantages majeurs. Un chef-d'oeuvre, donc.
