Shit !
7.4
Shit !

livre de Jacky Schwartzmann (2023)

Ça commence dès la cinquième page, et c’est un festival : propos racistes, sexistes, homophobes, classistes... Mais ça s’accumule tellement fort qu’assez vite, on finit par comprendre (ou, du moins, considérer) que c’est du second degré. Schwartzmann a fait le choix de dérouler son histoire à travers les yeux d’un personnage principal qui s’avère être un connard, voilà tout. Est-ce pour cette raison qu’il raconte au commissaire qu’il est en train de lire « Cher connard » vers la fin du récit ? Un clin d’œil au lecteur ? N’empêche, la mention de Despentes arrive vraiment comme un cheveu sur la soupe dans cet océan de vannes bien adipeuses du style : « Elle gère le planning de ses apparitions publiques et son emploi du temps dans une école d’architecture. Et évidemment, dès qu’elle en a le temps, elle lui suce la queue. » (p. 33), « Sophie est venue au monde pour sauver des bébés steaks tartares. Elle est si militante qu’elle en devient asexuée. » (p. 201), « La fille redescend d’un coup de son piédestal de fille désirable et se transforme en fille qui a un putain d’accent : le tue-l’amour. » (p. 246) ou encore « Il était plein d’arrogance tout à l’heure, dans son bureau. Cette fois je le qualifierais volontiers de petite bite. » (p. 282)


Tout le long, le narrateur nous fait profiter des insultes homophobes qu’il lance en l’air gratuitement (enculés, pédale cosmique, fiotte...) et de ses réflexions machistes. On enchaîne sur une magnifique description de la prof de musique dans le registre exhibition d’une bête de foire, style ouh, regardez comme elle est moche en plus d’être presque aveugle. Ça lui vaut d’être victimisée, autant par les élèves que par le narrateur. Mais y’a-t-il vraiment une différence entre ces deux entités ? Le texte donne parfois l’impression que c’est le point de vue d’un collégien qui n’a pas encore implémenté la fonction empathie dans son logiciel.


Bon ok, ok, c’est du second degré. Mais alors une remarque : psychologiser un personnage comme ça, nous faire rentrer dans sa tête et en plus à la première personne, faire passer tout le récit par son point de vue, c’est un mauvais cocktail.

Pourquoi ? En parallèle de tous ces propos pas ouf, le personnage principal, homologue foireux de ce bon vieux Walter White, est présenté comme un mec bien, un élément positif dans l’intrigue et dans la société. On se sent invité à prendre parti pour lui, ou du moins à investir l’histoire à ses côtés : mais ça le fait pas, quoi... Empathiser avec un personnage pareil, bonjour la mission. On a plutôt l’impression d’être en plein dans un roman hétérobeauf de mec du centre-ville qui parle sur les banlieues que dans une histoire au second degré. Où est l’espace laissé au lecteur ? Celui qui pourrait lui laisser la possibilité de prendre ses distances ?

Ensuite, même si c’est du second degré, pas ouf comme expérience, passer 300 pages dans la tête d’un connard, surtout si ce dernier est doté d’un sens du verbe assez pauvre.


Précisons que ceci n’est nullement un plaidoyer en faveur de la bien-pensance : un personnage principal qui défend des idées abjectes, ça peut marcher quand c’est bien amené. Nicolas Matthieu dans « Aux animaux la guerre » et surtout Manchette dans « L’Affaire N’gusto » le font très bien. Ici c’est mal dosé, agaçant à lire.


Le livre se veut politiquement incorrect, il est irrespectueux voire humiliant. Pour le côté provoc’ et vitriol, c’est loupé. Le discours du narrateur relève d’une forme d’ethnocentrisme du mec convaincu de représenter les gens qui sont dans le vrai et qui dézingue tous les autres. Bobos, zonars, femmes, antispécistes, personnes homosexuelles, racisées, handicapées, etc. Tout le monde y passe, là encore le narrateur fait feu avec la méchanceté gratuite d’un collégien : moqueries, insultes et argumentaires à l’emporte-pièce. En bonus, des tentatives d’ironie qui se veulent cinglantes mais restent flasques et une attitude de crâneur qui ne s’accorde pas bien avec la médiocrité du sens de la punchline du narrateur. Bref, ça manque de finesse.


L’ensemble est ponctué de ruminations pseudo-philosophiques, politiques ou sociologiques à base de lieux communs, laissant entendre que le narrateur est malin parce qu’il condamne une vision binaire ou manichéenne en proposant une troisième perspective à peine moins arrêtée que les deux autres. On se retrouve avec ce mec qui n’a rien compris (ou pas grand-chose) mais qui s’exprime avec la prétention du mec qui a tout compris.


Impossible de conclure sans un mot pour ce fameux quartier de Besançon. La représentation de Planoise est digne d’un reportage de bfmtv ! L’endroit est réduit à la violence, à l’échec, au trafic de drogue, à des évènements qui font sensation médiatiquement mais restent marginaux dans la vie du quartier. Le ressenti qu’on en a en parcourant ces pages est que la vie y est insupportable. Ça aussi, c’est une bonne grosse caricature des familles, on a l’impression de lire le point de vue sur la banlieue d’un mec qui n’est jamais sorti du centre de Besançon. Pourtant l’auteur est censé y avoir grandi d’après la dédicace en début de livre alors... WTF ? Est emblématique la page 63 où le narrateur nous explique gentiment (sortez les violons) qu’ « il n’y a pas de promenades sympas ». Euh... si. Planoise est entourée par quatre forêts, mec. Certes, pas de cinéma ni de librairie, mais on oublie allégrement de mentionner le théâtre de l’Espace, les évènements festifs, sportifs, Micropolis, ce qui donne la fausse impression d’un désert culturel.



chaaazeerrty
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le 15 févr. 2024

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