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Je suis bien embêté, là...

L'idée, après avoir loué récemment Solutions non satisfaisantes d'Ugo Bellagamba et Eric Picholle, et relevé les indéniables mérites de Révolte sur la Lune, c'était sans doute de poursuivre dans l'éloge de Robert Heinlein. Parce que j'aime bien Heinlein, moi, tout en lui reconnaissant bien des défauts. Je ne trouve pas, à la différence du sieur Arkady Knight, que « Heinlein est l'un de ces auteurs dont on se demande encore pourquoi certains éditeurs s'obstinent à le rééditer » : Heinlein est bien un des grands auteurs de « l'âge d'or », et si ses œuvres ont nécessairement pris un coup de vieux, elles n'en restent pas moins, pour bon nombre d'entre elles, parfaitement lisibles aujourd'hui, et toujours aussi intéressantes. En clair : Heinlein n'est pas Van Vogt (... hein ? quoi ? c'était un peu gratuit, ça ? ... mmmh, probablement). Et, toujours à la différence de M'sieur AK, par exemple, je ne trouve franchement rien (enfin, disons, presque rien) de nanardesque à « l'Histoire du futur », qui contient même quelques petites merveilles : désolé, mais, en ce qui me concerne, « L'Homme qui vendit la Lune » ou Les Orphelins du ciel, c'est très clairement du haut de gamme.


Mais il y a bien un point que je dois concéder au fielleux critique... et c'est le principal : Sixième Colonne est un mauvais roman... Et, pour le coup, seuls les fans les plus intégristes de Robert Heinlein pourraient éventuellement prétendre le contraire. Et encore, pas sûr, faudrait quand même une bonne dose de mauvaise foi ou d'aveuglement...

« Comme toi pour Code source, Nébal ? »

Non, non, moi, j'ai raison.

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'Fin bon. En tout cas, je ne peux pas jouer au fan intégriste dans le cas présent.

Avant de partir à l'assaut du bouzin, commençons par le résumer un brin.

Le futur. Enfin, par rapport à 1941, en tout cas. Les Etats-Unis sont tombés face à l'assaut perfide des hordes panasiates. Or les Panasiates sont des Jaunes, et donc cruels, d'autant que victimes d'un complexe d'infériorité raciale (p. 53 ; voir plus bas). Et ça massacre, et ça brime, et ça esclavagise, et ça prostitue. Tous les Etats-Unis tremblent sous la botte du cruel occupant. Tous ? Non ! Dans une Citadelle secrète dissimulée sous une montagne, une poignée de scientifiques et de militaires américains entendent bien poursuivre la lutte contre l'envahisseur ! Et comme ils sont Américains, blancs et intelligents (pléonasme), bien évidemment, ils vont gagner. A sept contre plusieurs millions.

A la tête de ces résistants vach'ment motivés, le major Ardmore, officier du renseignement, et publicitaire dans le civil. Sous ses ordres, le docteur Lowell Calhoun, colonel, mathématicien de génie, et en même temps vraie tête de con ; le docteur Randall Brooks, biologiste et biochimiste, major ; Robert Wilkie, talentueux jeune physicien ; Herman Scheer, mécanicien, sergent dans les services techniques ; Edward Graham, première classe, cuistot (mais pas la version Casey Rhyback, non, quand même pas...) ; et enfin Jefferson Thomas (aha), deuxième classe tout récemment intégré : un itinérant, hein, pas un vagabond (lui, il se lave, et il travaille, ce n'est pas un parasite de la société, sic ; d'ailleurs, il sort de Harvard). Voilà les hommes qui vont sauver les Etats-Unis, i.e. le monde.

Dans leur malheur, ils ont du bol. Cette petite troupe va bénéficier presque instantanément d'une découverte scientifique phénoménale, hop, là, comme ça, ça tombe bien, qui va leur permettre de niquer les niakwés : rendez vous compte ! Parmi les innombrables applications de « l'effet Ledbetter » (dont la transmutation alchimique, bien pratique), il y a carrément une arme secrète, qui a le bon goût de ne tuer QUE les bridés ! La nature est bien faite. Il faut néanmoins se faire discret pour préparer la résistance tout en évitant les représailles. Pour ce faire, le publicitaire Ardmore a une idée de génie : puisque la seule liberté autorisée par les singes est la liberté de culte, hop, y'a qu'à créer une nouvelle religion, le culte de Mota ; qui va pouvoir se répandre dans tous les Etats-Unis en quelques semaines sans que personne ne s'en étonne ; en plus, autre application pratique des découvertes de Calhoun et compagnie, les Panasiates ne peuvent même pas entrer dans les temples ! Traaaaaaaaaaanquiiiiiiiiiiiiiiiiiiille...

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Ben c'est pas glorieux, tout ça.

Commençons rapidement par les circonstances atténuantes et les rares qualités que l'on peut reconnaître à Sixième colonne. Tout d'abord, le contexte. Très important, le contexte, très très important, ça, Madame. Pour l'auteur, déjà : Sixième Colonne est le premier roman de science-fiction de Robert Heinlein (ou, plus exactement, son premier roman de SF publié), rédigé à la demande expresse du big boss Campbell. On peut donc bien parler d'une erreur de jeunesse. Mais contexte politique aussi : le roman date de 1941. Avant Pearl Harbor, il est important de le noter (rappelons d'ailleurs que, si les Panasiates du roman font immanquablement penser à des Japonais, ils n'en sont pas exactement, mais tout autant Chinois, Mongols, etc., bref, bridés, enfin, voir plus bas) ; mais avec en tête le fâcheux exemple de la débâcle de l'armée française face à l'invasion nazie (le roman évoque directement ces événements). Dans des Etats-Unis sur le point de rentrer en guerre, on peut comprendre les excès de patriotisme (on y reviendra). Les qualités, très vite : heu... ça se lit correctement... Heu... c'est parfois vaguement visionnaire (armes nucléaires – et, j'en ai bien l'impression, sous la forme de missiles balistiques –, conflit avec le Japon, mouais, future guerre froide, mmmh, organisation de la résistance...).

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Heu...

Bon. Passons aux défauts, en style télégraphique, parce que je n'aime pas dire du mal des gens : écriture minimale, tout en dialogues caricaturaux et digressions saugrenues ; personnages plats au possible ; ton extrêmement naïf, pour ne pas dire pré-pubère ; métaphores plus que grossières (ah, ces personnages aux noms présidentiels...) ; artifices grotesques ; totale invraisemblance du propos ; analyses géopolitiques ridicules ; cohérence plus que douteuse ; défauts de rythme... Bon, n'en jetez plus, on peut déjà dire qu'il s'agit d'un roman raté.

Reste un point à détailler : en plus, il pue. Et là il est nécessaire que je m'explique un peu. Point de départ : l'ultra-patriotisme du roman, la main sur le cœur devant le lever du drapeau, vire très vite au manichéisme le plus insupportable. Comme noté plus haut, le contexte l'explique (et l'excuse presque) pour une bonne part ; mais ça reste quand même assez franchement émétique... Cela dit, qu'on ne se méprenne pas : l'arme qui ne tue que les Panasiates, c'est nauséabond, oui, mais dans un cadre science-fictif, éventuellement, ça peut passer, avec quelques précautions (voir ma note sur Le Corps et le sang d'Eymerich). Le problème ne réside pas forcément non plus dans le champ lexical ultra-raciste employé pour désigner les Panasiates : les bridés, les singes, les Jaunes, les Chinetoques... Dans le contexte de 1941, où la guerre avec le Japon semble à peu près inévitable, et où la psychose du « péril jaune », qui s'est déjà bien souvent manifestée en littérature (voyez Fu Manchu...), a encore de beaux jours devant elle (voyez Le Secret de l'espadon... entre autres !), cette attitude chez Heinlein n'est guère étonnante, et le condamner pour cela serait sans doute verser excessivement dans l'anachronisme. D'ailleurs, soyons plus précis : c'est avant tout l'attitude de ses personnages, confrontés à l'Envahisseur. Et elle est bien compréhensible, quand bien même excessive : n'oublions pas que, fut un temps, comme le faisait remarquer le grand Pierre Desproges, où « de nombreux Juifs ont eu une attitude carrément hostile à l'égard du régime nazi. Il est vrai que les Allemands, de leur côté, cachaient mal une certaine antipathie à l'égard des Juifs... » Mais je m'égare... En tout cas, regardez-moi : dans ma jeunesse pré-boutonneuse, j'ai lu et relu les vieux Buck Danny période « Tigres volants » ; et je n'ai pourtant développé aucune animosité à l'encontre des faces de pr... de citr... des brid... sing... niak...

Contexte. Contexte !

Oui, mais au bout d'un moment, ça devient franchement saoulant. Heinlein a montré en bien d'autres occasions son anti-racisme, mais là, son patriotisme exacerbé le fait plus d'une fois dépasser la mesure. Ca peut faire sourire, des fois : « Que serait-il, ce nouveau monde insensé où la supériorité de la culture occidentale ne serait plus un fait avéré, ce monde où la bannière étoilée ne flotterait plus parmi les pigeons hantant la façade des édifies publics ? » (p. 29 ; j'espère que le ridicule de cette phrase est volontaire, mais j'ai un gros gros doute...) L'accumulation devient quand même vite pénible, et les hésitations dans le discours n'arrangent rien à l'affaire. Passage édifiant (pp. 52-55) : Jefferson Thomas laisse éclater sa haine ; « Jusqu'à ce que le dernier d'entre eux ait retraversé le Pacifique, se disait-il, il n'est de bons Panasiates que les Panasiates morts. Si l'Asie est surpeuplée, ils n'ont qu'à pratiquer le contrôle des naissances ! » Finny, face à lui, est la figure du sage ; mais son discours anti-raciste... est étrangement raciste à son tour :

« – Ne commets pas l'erreur de penser que les Panasiates sont mauvais, car c'est faux ; mais ils sont bel et bien différents de nous. Derrière leur arrogance se dissimule un complexe d'infériorité raciale, une paranoïa collective, qui les incite à se prouver, en nous le démontrant, qu'un Jaune vaut bien un Blanc, et vaut même beaucoup plus. Ils tiennent aux marques extérieures de respect, plus qu'à n'importe quoi au monde. N'oublie jamais ça, fiston. »

Suit un exemple américano-centré concernant le Japon. Thomas répond :

« – Mais les Panasiates ne sont pas des Japonais.

« – Non, et ce ne sont pas non plus des Chinois. C'est un mélange de races, puissant, fier, et fécond. Du point de vue américain, ils ont les vices des deux races sans les vertus d'aucune. »

Après quoi Finny, qui est anarchiste, vient expliquer que le vrai problème est que les Panasiates sont victimes « de la vieille foutaise de l'Etat considéré comme puissance ultime ». On croit respirer un peu mieux... avant d'en arriver à un discours géopolitique grossier, saturé de références mal maîtrisées et où l'anticommunisme se fait annonciateur de la guerre froide future, mais tourne surtout en un plaidoyer en faveur de l'interventionnisme américain, y compris sous sa forme la plus belliciste.

Et là, je n'en suis qu'au sixième du roman, et ça s'aggrave par la suite. Et, franchement, ça devient insupportable... La naïveté des analyses politiques et les incohérences dans le discours supposés venir relativiser le racisme des résistants ne font que le mettre en valeur, et presque le justifier, ou aboutir à d'autres conséquences tout aussi nauséabondes. Et au bout d'un moment, on a l'étrange impression, à peu de choses près, de lire Rêve de fer de Norman Spinrad, mais au premier degré ; on comprend mieux la réjouissante mauvaise blague de Spinrad, du coup, mais, en attendant, on soupire... et quand on arrive à la grande omelette finale, on n'en peut plus.

Bilan sans appel : Sixième colonne est un mauvais roman, une erreur de jeunesse indigne de Robert Heinlein ; à réserver aux plus intégristes et aux plus bourrins des fans de Bobby (ou à lire à titre documentaire). Ca n'enlève rien au talent de l'auteur, que l'on a pu constater en bien d'autres occasions plus heureuses. Mais il faut savoir pointer du doigt les casseroles des plus grands.
Nébal
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le 23 oct. 2010

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Nébal

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