En Russie, dans les années 1930, Sophia, de ses petits noms Sonia ou Sonietchka, lit. Elle lit et c'est toute sa vie. Son esprit quitte son corps dès lors qu'elle pose ses yeux sur un livre, comme si elle entrait en syncope. Rien d'autre ne l'intéresse sinon la lecture et tant mieux, quelque part, elle n'est pas très jolie - nez en forme de poire, corps maladroit , un peu bossue, petits yeux de myope - et depuis qu'elle a reçu deux gifles à ses quatorze ans du garçon qu'elle aimait, elle ne se risque plus au jeu de l'amour. La famille de Sonia est assez pauvre et pour l'aider, Sonietchka trouve un emploi dans la réserve en sous-sol d'une bibliothèque. A vingt-sept ans sa vie se trouve bouleversée : Robert, un artiste peintre francophile, désire compulser le catalogue de la bibliothèque des livres en français. Face à Sonia, c'est l'évidence, elle est la femme de sa vie. Deux semaines plus tard ils se marient, puis ont leur premier – et unique – enfant, Tania.
Pour Sonietchka, c'est le bonheur total, l'optimisme sans limite. Malgré la misère, la pauvreté, le manque d'argent, le froid, la solitude, l'affliction de n'avoir pu donner la vie qu'à une enfant seulement, malgré l'indifférence de Tania à étudier et à lire, malgré toutes les vilaines rumeurs colportées sur elle, malgré le manque de sommeil, le travail, malgré l'abandon de la lecture, Sonietchka est la plus heureuse des femmes. Elle a un mari merveilleux, brillant, aimant, une fille qu'elle adore, que demander de plus.
Un autre enfant, peut-être ? Une autre, plutôt ? Sonietchka accueille bras ouvert la délicieuse amie polonaise Tania, Jasia, orpheline, à la vie pleine de malheurs.
Sonietchka, quoi qu'il arrive - et il en arrivera, des choses -, restera heureuse, toujours... même si elle reviendra à la lecture pour y croire.


Chaque fois que je lis un auteur russe, je me demande pourquoi je n'en lis pas plus souvent. Ils ont ce je-ne-sais quoi d'humour, de malice, qui provoque un rire insolent, un peu chien, un peu loup, avec des larmes presque gaies.
Ce roman est un très beau portrait de femme russe du milieu du siècle dernier, en plein socialisme politique, atteinte du rêve insaisissable du bonheur. C'est beau, élégant, un peu cruel.



Peinture



• «Dès son plus jeune âge, à peine sortie de la prime enfance, Sonietchka s'était plongée dans la lecture.» (incipit)
La lecture, Elisabeth Büchsel artiste peintre allemande (1867–1957 )


• « Ce goût pour la lecture, qui prenait l'allure d'une forme bénigne d'aliénation mentale, la poursuivait jusque dans son sommeil : même ses rêves, on peut dire qu'elle les lisait. » (p.9) Natalia Goncharova, Portrait de jeune femme, 1916.


• « L'existence de Sonia changea si totalement, si profondément qu'on eût dit que sa vie d'avant avait renversé son cours, emportant avec elle tout ce monde de livres qu'elle avait tant aimé, pour laisser à la place les inimaginables fardeaux d'une existence précaire, de la misère, du froid et des soucis quotidiens pour la petite Tania et pour Robert, qui tombait malades à tour de rôle. »
Intérieur avec une femme à la couture ~ Anna Ancher (1910, Danemark)
La mère, Annie Taverner (Angleterre)


• « Mais l'amertume de vieillir n'empoisonnait nullement la vie de Sonietchka, comme c'est le cas pour les femmes fières de leur beauté. L'immuable différence d'âge avec son mari ancrait en elle l'impression de jouir d'une jeunesse inaltérable, impression que confirmait l'inextinguible jalousie de Robert Victorovitch. Et chaque matin était peint aux couleurs de ce bonheur de femme immérité et si violent qu'elle n'arrivait pas à s'y accoutumer. Au fond de son âme, elle s'attendait secrètement à tout instant à perdre ce bonheur, comme une aubaine qui lui serait échue par erreur, à la suite d'une négligence. La mignonne Tania lui semblait elle aussi un cadeau du hasard, ce que le gynécologue lui confirma d'ailleurs un jour : elle avait ce que l'on appelle un utérus atrophié, non développé, incapable d'enfanter, et jamais plus elle ne tomba enceinte après la petite Tania, ce qui l'affligeait au point de la faire pleurer. Il lui semblait qu'elle n'était pas digne de son mari, puisqu'elle ne pouvait lui donner d'autres enfants. » (p.49)
Mère allaitant, (1903) par Paula Modersohn-Becker.

La mère, par Natalia Goncharova.


• « Elle s'y adonna avec la conscience très nette de son droit au plaisir et à la liberté de développer une personnalité affranchie de toute entrave » (p.55) La Tunique rose Avril (1927) de Tamara de Lempicka.


• « La vigoureuse et robuste Tania contemplait avec adoration cette fragile Jasia, transparente comme un flacon de pharmacie tout propre, et languissait de timidité. » (p.64) Portrait de Katya, par Zinaida Yevgenyevna Serebriakova.


• « Jasia se pelotonna sous la couverture encore chaude et, une minute plus tard, elle s'était rendormie. Elle dormait avec délices, consciente jusque dans son rêve de la douceur de ce sommeil en famille, dans cette maison familiale, et sous sa joue, la chemise de nuit de Sonia, qu'elle n'avait pas remise, avait une odeur de paradis. » (p.80) La Dormeuse, parTamara de Lempicka.


• « Vidée de tout, légère, les oreilles bourdonnant d'un tintement limpide, elle entra chez elle, s'approcha de la bibliothèque, y prit un livre au hasard et s'allongea en l'ouvrant au milieu. C'était la Demoiselle Paysanne de Pouchkine. Lisa allait justement déjeuner, plâtrée de blanc jusqu'aux oreilles et plus lourdement fardée que miss Jackson. Alexeï Berestov jouait au rêveur distrait, et, du fond de ces pages monta vers Sonia le bonheur tranquille de la perfection du verbe et de la noblesse incarnée.» (p.95) Un bon livre ~ Louise Breslau.


• « La robe de Jasia bruissait dans un froissement soyeux et sa lourde chevelure mordorée, pareille à une coulée de résine claire, tombait sur ses épaules comme taillée à la hache, exactement la coupe de Marina Vlady dans son film à la mode cette année-là, la sorcière . »



Musique



Alla Pugacheva - Arlekino
Polo & Pan - Cœur croisé
Alla Pugacheva - Million Roses
Nautilius pompilius - Promenade sur l'eau
Lana del Rey – Love

Maud Geffray - 1994



Vidéo



« Le seul génie russe », selon Robert. Au grand dam de Sonietchka.


Le conte du tsar Saltan, de son fils, glorieux, puissant et preux le prince Gvidone Saltanovitch, et de la très belle princesse-cygne (1831) de Pouchkine, mis en dessin-animé en 1984.

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le 24 mai 2017

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