Pour les adeptes de documentaire post-apocalyptique...

Station Eleven est un titre curieux. Il n’est pas évident de savoir immédiatement à quoi il fait référence. La couverture qui permet de découvrir un musicien en train de jouer du cor ne nous aide pas beaucoup. Le personnage appartient à un groupe qui semble se diriger vers un lac bordé de sapins. Je ne vous cache pas que la petite note joliment écrite par une des libraires s’est avérée bien utile pour répondre à une partie de mes interrogations à propos de ce roman intriguant.


L’intrigue s’inscrit dans une époque postapocalyptique. La civilisation s’est effondrée. Il y cohabite des personnes nostalgiques d’un passé disparu et des plus jeunes qui ont du mal à imaginer qu’un autre monde ait pu exister. C’est dans ce contexte qu’une troupe d’acteurs et de musiciens passe de village en village pour jouer des pièces de Shakespeare. Préserver l’art dans cet univers hostile n’est-il pas un moyen d’entretenir l’espoir d’un avenir meilleur ?


L’histoire débute à Toronto durant une représentation du Roi Lear. Le monde s’apprête à s’écrouter. En quelques heures une grippe venue d’Europe particulièrement contagieuses provoque le décès de quasiment toutes les personnes contaminées. Sans en avoir réellement conscience, l’humanité plonge dans un chaos inéluctable. Cette fuite en avant vers la fin du monde développe un sentiment d’angoisse joliment rendu par l’autrice.


Cette dernière nous fait découvrir ensuite le quotidien d’une bien curieuse compagnie : la Symphonie itinérante. Vingt ans après la fin de l’ancien monde, ses membres naviguent dans un univers décimé à la rencontre des petites communautés qui se seraient installées aux abords de la région du lac Michigan. Ils viennent y jouer leurs spectacles pour apporter un peu de joie et de fête aux survivants. À travers leurs pérégrinations, on s’approprie les nouveaux codes qui régissent le monde. Il n’y a ni électricité, ni eau courante, ni moyens de transports mécaniques… Bon nombre de gestes naturels sont devenus impossibles. Manger une orange, éclairer une pièce, se faire un café, acheter un livre… Cette prise de conscience est joliment décrite. Elle rend la lecture particulière et perturbante. La fragilité de la vie est mise ici en lumière avec subtilité…


Le rendu de cette ère postapocalyptique est, à mes yeux, le principal atout de ce roman. La disparition de tous les produits et de tous les services qui font notre quotidien génère une sensation de vide vertigineuse. Avec les années qui passent, les souvenirs se font moins précis, la mémoire de ce passé disparait… La chute démographique fait que des petits groupes éloignés les uns des autres se sont formés. Une crainte de l’inconnu, de l’étranger, du noir s’est construite chez la majorité des survivants. Tout ce pan de la trame est captivant car finalement assez réaliste et sensorielle.

La narration oscille entre l’époque de l’arrivée de l’épidémie et une autre période plusieurs années plus tard durant laquelle le nouveau monde s’est mis en place. Le fait de nous faire vivre la chute du monde rend la catastrophe plus crédible et plus proche de nous. Cela rend chaque événement assez oppressant et prenant. L’identification aux personnes qui assistent à la disparition de leurs proches et de leur univers est forte et immédiate rendant ainsi la lecture captivante. L’époque postapocalyptique n’est pas dénuée d’intérêt non plus. Elle amène à se questionner sur l’attitude qu’on aurait pu avoir dans une telle situation. Elle permet de prendre conscience que plus de rien de nos tâches quotidiennes ne serait évident. Bon nombre seraient devenues impossibles, les autres deviendraient très compliquées à réaliser.


Le bémol concerne l’écriture des personnages principaux. En effet, leurs différents destins m’ont peu touché. Peut-être y a-t-il trop de protagonistes ou peut-être que leur traitement manque de hiérarchie ? J’ai eu du mal à être ému par les épreuves que la vie leur fait subir. Néanmoins, loin de moi l’idée de dire que tout ce petit monde m’était antipathiques. Ce n’est absolument le cas. Je dirai que je me suis davantage passionné pour le devenir de la société dans la globalité que pour les individualités mises en lumière par l’autrice.


Pour conclure, il s’agit d’un roman intéressant que j’ai pris plaisir à découvrir. J’ai apprécié sa dimension « documentaire » d’une société postapocalyptique. Ma curiosité a été alimentée en permanence par les nombreuses anecdotes du quotidien vécus par les différents protagonistes. En revanche, j’ai été moins sensible à leurs destins qui ne m’ont pas autant touché qu’espéré. Néanmoins, cela reste une lecture agréable et originale. N’hésitez donc pas à laisser sa chance à ce roman si vous croisez son chemin…


Eric17
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le 19 oct. 2025

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