Suicide
7.8
Suicide

livre de Édouard Levé ()

La vie est une hypothèse. La mort, elle, une cohérence.


« La mort est un pays dont on ne sait rien, personne n'en est revenu
pour le décrire. »



Suicide. Un seul mot, et, aucune explication à un geste tout aussi violent et abrupt. Aucun balbutiement autour du contenu du livre, le contexte est posé, se dévoile de lui-même. Reste qu’Edouard Levé, de par son geste salutaire qui suivra l’écriture de cette œuvre, donnera une symbolique encore plus funeste à Suicide, qui deviendra alors, un ouvrage posthume. Comme si c’était la chronique d'une mort annoncée. Dans cet ouvrage, au style neutre mais qui détourne rapidement sa route vers une identification presque schizophrénique des sentiments, l’écrivain nous raconte, nous relate l’un de ses amis, qui s’est donné la mort à 25 ans.


Un coup de fusil dans la bouche avant d’aller faire une partie de tennis avec sa femme. Il avait prémédité son acte, avait décidé de gagner le match sans le jouer. Même si cela parait froid, et choquant dans son dispositif, Edouard Levé, plasticien de métier, écrit, comme il photographie ; la sobriété qui se mélange à une sincérité triste et à la mélancolie presque distante. Suicide est une mosaïque qui ne proscrit pas la mort, mais décrit la vie sans jamais la juger, pour alors se murir à l’aube du bilan parcimonieux de la singularité d’une vie à l'instar du film Oslo 31 aout de Joachim Trier.



« Peut-être as-tu voulu préserver le mystère autour de ta mort, en
pensant que rien ne devait être expliqué»



L’homme dont il narre la courte existence, était plutôt sombre, parfois mutique, aux troubles identitaires passagers, un homme qui parfois préférait caresser le contact du silence plutôt que celui de l’ébullition de la collectivité. Si Suicide pourrait s’inscrire dans la veine du portrait, Edouard Levé ne marche jamais sur la voix de l’étude de caractère. Ni jugement, ni moral, juste un coup de pinceau qui effleure avec vérité et émotion les facéties d’un homme, d’un ami. Une amitié presque découverte après la mort de ce dernier.


Devant nous, apparaissent alors les contours d’un visage, d’un squelette et d’un esprit semés d’embuches, les esquisses d’un quotidien à la fois personnel et universel, comblé de vide et tout, de bonheur et de doute. Sous son étroite simplicité de trait, au style littéraire presque transparent, Edouard Levé fluidifie à merveille son récit, et met des mots sur des émotions plus que réelles pour retranscrire les non-dits.



« Tu croyais qu’en vieillissant tu serais moins malheureux, parce que
tu aurais, alors des raisons d’être triste. Jeune encore, ton désarroi
était inconsolable parce que tu le jugeais infondé. »



Suicide est écrit comme une lettre ouverte, utilisant le « tu » comme pour apostropher son ami défunt, comme pour lui accrocher la manche de sa veste et pour continuer à lui donner vie à travers les mots.


Cet ami aimait vivre dans une certaine imagination, s’inventer des carnets de voyage dans des pays qu’il n’avait pas parcouru. Sans laisser de trace d’explication, mis à part une double page de bande dessinée, il laisse aux autres, l’hypothèse de se réapproprier sa propre vie, comme un testament qu’il n’aurait pas signé de sa propre main.


De ce fait, ce texte est construit comme un long monologue, une déclaration de vie, qui fait tomber les masques au fil des lignes où le rationnel côtoie le sensoriel, et qui se fragmente entre des souvenirs descriptifs et des moments de réflexion plus amers sur la finalité du geste en lui-même.



« Le monde en fête ne s’aperçoit pas que c’est la mienne. Qu’on
m’oublie m’épargne la gêne de devoir briller. »



La mort, qu’est-ce que c’est au final ? Une simple étape de la vie, une cohérence, où l’on reste vivant dans la mémoire de ceux qui nous connaissent. Là où le corps s’échappe de ses prérogatives, l’esprit continue à nous dessiner. Dans sa démarche de mémoire, Edouard Levé ne préfère pas s’intéresser aux causes de l’acte, ni à ses conséquences narcissiques qui laissent une famille, une femme sur le carreau, restant alors à jamais une « lumière noire » dans le sillage de la vie des êtres aimés qui vivent avec la responsabilité et la culpabilité.


Mais plus le livre s'enfonce dans les du méandres du renoncement de son ami, c’est comme si Edouard Levé apprenait sur lui même, se dévisageait dans son propre miroir, parlait de lui-même où le « tu » devenait le « je », s’accaparant le suicide, le comprenant, l’enviant presque. S’accommodant d’une certaine similitude, ils s’inscrivent alors dans une même destinée, une compréhension, une volonté identique de sauter le pas vers l’inconnu. Comme les jumeaux d’une même pensée, pour qui la vie serait trop petite et autre. De là, à ce que le lecteur s'identifie à ces deux hommes, il n'y a peut être qu'un pas.

Velvetman
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le 31 mars 2015

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