Quand Einstein veut votre peau...

Je suis content d'avoir retrouvé Poul Anderson, que j'avais lu dans le passé, notamment son très bon "La Patrouille du Temps". "Tau Zero" est un roman qui fait étonnamment peu daté, alors qu'il a été écrit il y a 45 ans. Ici il s'agit de voyages intersidéraux à la vitesse de la lumière et la science derrière le livre paraît "fraîche", alors qu'il est clair que bien des choses ont changé en astronomie. Mais bon, difficile de démoder Einstein...

"Tau zéro" est en effet l'histoire d'un voyage intergalactique et pour une fois le terme est rigoureusement exact puisque le vaisseau spatial dans lequel se passe l'action va quelque peu dépasser sa destination originale. Incapable de freiner à cause d'une avarie, les colons à l'intérieur se retrouvent prisonnier d'un vaisseau fou qui accélère sans cesse. Un vrai cauchemar, car avec l'accélération relativiste vient la dilatation du temps... Maudit Einstein... Les hommes et les femmes à bord ce vaisseau voient peu à peu se défaire les liens entre eux et le monde qui les a envoyés, tant du point de vue spatial que du point de vue temporel (La Terre et ses habitants vieillissent de plus en plus). Cela apporte son lot de paniques existentielles pour les passagers. Poul Anderson traite son sujet de manière à la fois sérieuse ( la vie sociale du groupe, la science derrière la propulsion dans l'espace) et bizarrement comédique ( avec vingt-cinq hommes et vingt-femmes à bord, c'est une sorte de reality show qui s'instaure, avec force permutation de couples).

En effet, si Anderson aborde la vie à bord sous de nombreux angles ( la promiscuité, la religion , l'autorité, les risques inhérents à une telle cohabitation forcée) il le fait parfois avec une maladresse qui transforme presque son space opera en soap opera... (On découvre quelques moments "Oh, ciel ! Mon mari! " qui font sourire). Pourtant le propos est honnête, puisque Anderson veut manifestement proposer des situations humaines plausibles. Un autre cliché qui hante malheureusement ce livre est celui du héros militaire, le mec, le vrai, qui par sa morgue pragmatique deviendra le chef naturel de ces hippies incapables que sont les scientifiques. Mais bon, passé l'agacement, on pardonne ce manichéisme, car l'ouvrage se lit tout seul , avec un focus qui alterne : le vaisseau, l'équipage, le vaisseau, l'équipage...

Bon ce n'est pas le livre de l'année , car traversé de clichés, mais le propos vertigineuse du récit, son originalité culottée ( ça me rappelle "The algebraist" de Iain Banks) ,l'effarante trame temporelle qu'il couvre et le contraste saisissant avec la trivialité de la vie humaine en font un roman a-typique, souvent maladroit, mais qui pose beaucoup de problématiques étonnantes. Un bon weekend de lecture que je vous recommande !!