Il y a de ça quelques années – j'étais encore un adolescent boutonneux –, ma mère m'offrit un jour un bouquin. C'était Les Vaisseaux du temps, de Stephen Baxter, qui venait de paraître en Ailleurs et demain. Ah ? Tiens donc ? Mais pourquoi ? « Oh, ben, j'étais à la Librairie, et me suis dit que je pouvais en profiter pour te prendre un roman... » Merci beaucoup, c'est très gentil... Mais... pourquoi celui-là ? « Oh, ben, je sais que tu aimes bien ces trucs bizarres, là, de science-fiction et compagnie, moi j'y connais reun' à ces machins, alors j'ai demandé, et le libraire m'a dit que celui-là, c'était vraiment très bien. » Ah bon. Ah, ben, merci beaucoup, hein, c'est super gentil, vraiment. Je regarde la bête d'un peu plus près : hein ? Une « suite » de La Machine à explorer le temps d'H.G. Wells ? 100 ans plus tard ? A l'époque, j'étais déjà con (peut-être plus encore que maintenant) ; du coup, je suis un brin sceptique : Ah ah, encore un de ces écrivaillons sans talent qui cherchent à tirer profit des vrais génies, c'est du propre... Par ailleurs, je n'avais pas lu La Machine à explorer le temps ; je me dis, tant qu'à faire... Je l'achète, je l'entame... et je m'arrête parce que je m'emmerde (j'étais vraiment très très con à cette époque...). Et du coup le Baxter prend la poussière dans ma bibliothèque. Bon. L'an dernier, je retrouve le bouquin de Wells. J'ai rien d'autre à lire : allez hop, test. Et je me régale de ce chef-d'œuvre, comme de bien entendu. Alors je me souviens de l'autre, là, comment déjà, Baxter ? Ouais. Bon. J'ai vraiment rien à lire, alors essayons. Et je me régale de ce chef-d'œuvre, comme de bien entendu... Un roman d'une intelligence remarquable, sans doute le meilleur et le plus solide que j'ai pu lire sur le thème du voyage dans le temps, ce thème si fascinant mais qui a une si vilaine tendance à filer la migraine s'il est bien employé...

Vous vous en foutez, hein ? C'est compréhensible. Mais c'est une manière comme une autre d'aborder la « chronique » de ce nouveau (enfin, il date de 1999, hein... vive la France...) roman de Stephen Baxter, sobrement intitulé... Temps. Ah ben décidément... C'est le premier tome de la « trilogie des univers multiples », et ça paraît en France au Fleuve noir (ce qui, il y a quelque temps encore – aha –, m'aurait définitivement dissuadé de le lire ; ouais, finalement, je dois être un peu moins con maintenant...).

Et de quoi ça parle ? Ben, de beaucoup de choses. Enormément, même. L'écrivain anglais n'y est pas allé de main-morte ce coup-ci : paradoxes temporels, univers parallèles, conquête de l'espace, mutants / surhommes, fin du monde... Tout y passe, ou presque. A l'ancienne, par contre. On sent dans ce roman une assez nette influence de la SF de « l'âge d'or », j'aurais l'occasion d'y revenir.

Nous sommes au tout début du XXIe siècle. Reid Malenfant, après avoir été renvoyé de la NASA, est devenu un richissime homme d'affaires. Mais sa passion pour l'espace ne l'a pas abandonné. Il se désole (et c'est bien naturel) de l'impasse dans laquelle se trouve la conquête de l'espace ; il a la conviction que celle-ci est une avancée fondamentale, que l'homme se doit d'en passer par là... et accessoirement que ça peut rapporter beaucoup d'argent. Alors il se lance dans une vaste entreprise, passablement illégale, pour renvoyer l'homme dans l'espace (à terme : il commence par... des calmars !), afin de récupérer les précieuses richesses pour l'heure laissées à l'abandon dans les astéroïdes. Mais il est un jour contacté, via son ex-femme Emma, qui travaille toujours pour lui, par l'énigmatique Cornelius Taine, jadis mathématicien de génie, et désormais potentiellement dingue... Taine affirme à Malenfant que son projet, bien loin de n'avoir que des implications bassement mercantiles, est destiné à sauver l'humanité ; et ce n'est pas une métaphore : en se fondant sur les calculs probabilistes dits de la « catastrophe de Carter », la société Eschatologie Inc., à laquelle appartient Taine, a déterminé que l'humanité n'en avait plus que pour deux cents ans à vivre, à moins de relancer la conquête de l'espace. Et, bientôt, en se fondant sur des données scientifiques a priori farfelues (enfin, pour les ignorants dans mon genre, mais là je sais que je ne suis pas tout seul...) mais pourtant très sérieuses – toujours, chez Baxter –, les deux hommes en viennent à découvrir des messages provenant du futur et confirmant le bien fondé de leur action. Pendant ce temps, à travers le monde entier, apparaissent ponctuellement des « enfants bleus », des surdoués plus ou moins autistes capables, avant l'âge de 10 ans, de révolutionner la physique et les mathématiques, entre autres... ce qui ne manque pas de susciter l'inquiétude et la haine du commun des mortels.

Ca fait beaucoup de choses, donc. Mais c'est remarquablement traité, et l'on ne s'ennuie pas un seul instant tout au long de ces 540 pages. On jettera un voile pudique sur le style (anodin, pour ne pas dire inexistant, pour ne pas dire nul – c'est limite, des fois... Dommage, je n'avais pas eu cette impression pour Les Vaisseaux du temps, mais cela tient sans doute à la dimension « pastiche » de ce dernier). Il y a malgré tout amplement de quoi satisfaire ici le lecteur exigeant.

On a pu discuter de la qualification « hard SF » parfois avancée pour désigner les œuvres de Stephen Baxter ; en tant que non-scientifique, je dois dire qu'elle me semble plutôt appropriée. Mais attention, rien de rebutant pour autant, même s'il y a quelques passages fort complexes. C'est que Baxter, qui connaît bien son affaire, se fonde sur des données scientifiques récentes parfaitement fascinantes pour le quidam : la science, ici, la « vraie » science, celle d'aujourd'hui, nous parle de la fin du monde avec la « catastrophe de Carter », de l'intelligence des céphalopodes, de la « radio de Feynman » permettant de capter des messages émis depuis le futur, et de bien d'autres étrangetés encore ; pour celui qui, comme moi, n'est pas au fait des plus récentes avancées scientifiques dans ces domaines souvent fort hermétiques, cela tient à peu de choses près de la magie, du surnaturel ; et pourtant, non... « Sense of wonder » : l'expression, ici, prend tout son sens ; on est véritablement dans le merveilleux scientifique, dans la fascination pure et simple face à des choses qui nous dépassent, tout en étant parfaitement rationnelles ; les dernières pages de ce roman – dans l'ensemble très pessimiste – amènent le lecteur abasourdi à se poser des questions confinant à la métaphysique qui lui avaient probablement échappé jusqu'alors. Une très grande réussite, sous cet aspect-là, d'autant plus que Baxter fait dans l'ensemble preuve d'un certain sens de la pédagogie plutôt appréciable. Quand on referme le livre, on se sent un peu moins con, et ça fait du bien...

Et puis il est un autre aspect de ce roman qu'il me paraît important de noter, qui peut séduire ou rebuter, c'est selon (moi, ça ne m'a pas déplu) : c'est son indéniable classicisme. Si les données scientifiques employées sont dans l'ensemble très récentes, nombre de thèmes et de personnages ne manquent pas de faire penser à diverses œuvres importantes de la SF, qui se voient ainsi perpétuées, et dans un sens renouvelées. Déjà, sans trop de surprises, le Britannique Baxter s'inscrit dans la tradition très britannique de la SF « catastrophiste » (je pense notamment à Ballard, mais on pourrait sans doute évoquer aussi Aldiss, Moorcock, etc.). Mais il franchit également l'Atlantique à l'occasion. Le personnage de Reid Malenfant, ainsi, sorte d'archétype du héros (héraut ?) du libéralisme économique, à la fois rêveur attachant et ordure cynique, ne manque pas d'évoquer L'homme qui vendit la Lune, de Robert A. Heinlein (à mon sens le meilleur texte de « L'histoire du futur »), certaines scènes y faisant assez directement écho (je pense par exemple au passage consacré à l'application du droit dans l'espace, notamment pour ce qui est du droit de propriété). De même, les « enfants bleus » de Baxter nous renvoient à toute la littérature américaine consacrée au thème des mutants et des surhommes, abondante dans les années 1940-1950, pour le meilleur et pour le pire (pour ma part, ces enfants surdoués et persécutés parce que trop intelligents et donc inquiétants m'ont beaucoup fait penser à A la poursuite des Slans, de A.E. Van Vogt, un classique, même s'il m'a semblé plutôt médiocre). Et l'on pourrait sans doute continuer longtemps ainsi. On appréciera ou pas ; mais cela m'a semblé plutôt bien vu, un renouvellement plutôt qu'une redite.

Temps est ainsi un excellent roman de science-fiction, solide et passionnant, et qui vaut amplement le détour. Et j'attends d'ores et déjà avec impatience la suite (façon de parler), Espace...
Nébal
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le 6 oct. 2010

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Nébal

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