Fitzgerald ne sait pas inventer de personnages. Il retranscrit, perpétuellement, ses ombres, celle de sa déchéance et de la schizophrénie de Zelda. C'est peut-être pour cette raison que, mieux que personne, il sait écrire la catastrophe. Non pas celle grandiloquente et tapageuse d'amours passionnées mais la déliquescence d'un monde, d'une relation, fonçant tranquillement, cheveux aux vents, dans un platane.
Fitzgerald nous offre l'âme de ses protagonistes au milieu des fresques qu'il dépeint : tourbillon de camaraderies (Abe North, peut-être l'ancrage le plus nécessaire à Dick Diver et le seul ayant le courage de renoncer) et suites de paysages où l'humanité se sent lourde et se veut légère. Fitzgerald, c'est celui qui, pour vous faire découvrir sa maison et son silence, la noie sous une pluie de festivités musicales. Créateur d'illusions, comme Dick Diver. Qui veut contrôler le superflu faute de maîtriser l'essentiel. Mais la magie se brise progressivement, comme un verre de Gin dans une soirée trop longue au Ritz.
Dick, psychiatre né modestement, s'abîme à soigner Nicole, détruite par un père milliardaire, avec une foi quasi maladive. Ils se consument, au fur et à mesure, que le corps social se désagrège au sortir de la guerre. Réduire Fitzgerald à ses exercices de style nierait alors son talent pour croquer le social : l'argent, son pouvoir sur les individus, à l'instar de ce que Nicole a pu subir de la part de son géniteur, sa futilité face à la dépression, sont au coeur de l'ouvrage.
Sinistre, éblouissant, joyeusement terrifiant. Ce livre a une grandeur, peut-être la plus belle : celle de la faiblesse magnifiée. Qui se sait furieuse et fallacieuse, à la fois et qui a la beauté du papillon avant qu'il ne se grille sur une lampe.
"Les hommes remarquables frôlent constamment le bord du précipice. Ils ne peuvent pas faire autrement. Quelques-uns ne le supportent pas. Ils renoncent."