Sortis des cartons pas Van Gulik, sinophile émérite, puis traduit par ses soins, le juge Ti est ensuite devenu un élément important de la culture chinoise diffusée dans l'Occident (cf Detective Dee). Mais on en sort quoi ?


Il est évident que la préface de Van Gulik visant à recontextualiser l'histoire est décisif. Le juge Ti étant l'émanation librement inspirée d'un vrai juge du Moyen-Âge chinois, bien qu'écrit qu XVIII ème siècle a priori, il en porte les attributs de pouvoir et de morale qui vont avec. Et donc, le juge est tout puissant, il est l'émanation de la justice impériale sur le territoire qui lui est attribué. Il a le droit de torture pour obtenir la vérité. Il a même devoir, dans certains cas, puisque ne pas trouver la vérité est un déshonneur pour cette culture et de surcroit, un coupable ne peut être désigné s'il n'a pas avoué. Je fais court. Je passe sur cette thématique de la déférence absolue ("l'insignifiante personne que je suis comparais devant vous, juge Ti"). A ce niveau, la polygamie devient anecdotique (après tout, si ça convient à tout le monde).


Et c'est ce juge que l'on suit. Il faut reconnaître que l'histoire se lit facilement : même s'il y a trois énigmes à dérouler (un classique du juge Ti), on ne s'y perd pas trop. Pour nous aider, on nous énumère en début d'histoire les personnages, leurs noms, et leurs professions ou liens de famille selon l'intérêt. Donc on peut s'y repérer. Comme il y en a beaucoup et que les noms chinois ne sont pas forcément aisés à retenir pour un occidental, ça m'a été précieux. Bref, simplicité, fluidité, originalité dans les histoires, les personnages, les circonstances. Et on découvre également des éléments de la culture chinoise. Y compris les esprits des morts.


Mais je suis sorti de cette histoire avec assez peu d'émotions. Il y a pourtant des meurtres, des personnages en détresse, des méchants. Mais je les trouve assez peu incarnés. Très stereotypaux. Et puis, ce juge Ti est assez antipathique : sûr de son fait, méprisant et cassant, torturant au moindre soupçon. Pour qu'une histoire me passionne, il faut, soit qu'on se sente représenté par un des personnages, soit que l'on ressente la psyché des méchants, soit que l'auteur sache prendre du recul sur le personnage principal. Là, non, tout est à plat. On ne voit que ce qu'on voit. Les pensées restent globalement non-dites. Je comprends bien que c'est sans doute un sujet culturel, mais malgré tout, mon esprit bêtement formaté par mes lectures précédentes, ma propre morale, mes goûts, a besoin de se raccrocher à des choses comme ça.


Au final, on est bien sur quelque chose de plaisant à lire, qu'on lit également un peu comme une pièce historique, mais je ne me sens pas d'empathie avec personne et les énigmes finissent plus par être des pièces délicatement désimbriquées, que le cerveau et la puissance du juge vont permettre de réemboîter les unes aux autres. C'est bien, mais ça s'arrête là.

John-Peltier
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le 7 mars 2024

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