« Il y a les vivants, les morts et les marins »
La Commandante embarque sur son porte-containers, avec son équipage direction la Désirade. Un équipage qu’elle a choisi, avec lequel elle a l’habitude de naviguer et les marins sont heureux de naviguer sous ses ordres carrés, sûrs, rassurants.
Quand son second lui demande « on pourrait, hein, sans blague, couper les moteurs, descendre les canots, s’offrir une petite baignade ? » Sans réfléchir elle dit « d’accord »
Les voilà, moteurs arrêtés, descendant par le canot de sauvetage, pour une sortie natation. Vertiges des abysses, « On voit de quoi chacun est fait à sa façon d’entrer dans l’eau… Ce n’est pas tout à fait la même ouverture que chacun dessinera à la surface : tous ne portent pas le même poids ». Ils découvrent l’horizontalité, le vertige des profondeurs, la peur « ils n'auront pas été autre chose que des créatures terrestres qui paniquent dans le bleu. Ils auront vu leur vie résumée dans une vague, espéré le rivage et le réveil. » La commandante est restée seule à bord, les regarde nager et se demande pourquoi elle a dit oui. Pour elle aussi, c’est un instant entre deux. Le silence, elle seule sur ce grand bateau. Les limites fixées deviennent floues.
Voici les marins qui remontent et… Ils sont onze alors que, à la descente, ils étaient dix !! Quel est cet homme surnuméraire ? Oubli sur le carnet de bord, passager clandestin ? Pourquoi ne parle t-il pas ??? Second entorse au règlement, second flottement. La Commandante est gagnée par tout cela, elle patine et, lorsqu’un brouillard blanc apparaît, je ne suis même certaine qu’elle s’en étonne. Elle va sur le pont pour en sentir la consistance « Elle veut sentir la consistance de cette brume, en connaître la température. Voilà ce sera sa baignade à elle ». Ils sont seuls au milieu de ce désert blanc ; alors, lorsque le cargo décélère… La Commandante se met à l’écoute du bateau jusqu’à se coucher contre la coque pour écouter la respiration, la musique du navire. « Elle écoute ce corps. Elle qui n’a jamais écouté le sien ». Elle n’est pas la seule, le chef mécanicien le ressent également « un rythme régulier, qui varie de temps en temps. »
Cette phase spatio-temporelle, cet espace hors temps, hors contrôle emporte la Commandante qui se laisse aller au p;us profond d’elle-même
« Qu’est-qu’on va sacrifier, bateau ? Qu’est-ce qu’on va jeter à la mer pour que tu reviennes de notre côté !
Il aurait peut-être suffit d’attendre, immobiles, chacun dans sa flaque, pour qu’aucune guerre n’ait lieu, et qu’Iphigénie vieillissent, dans son anonymat et son ennui.»
Ultramarins ? Un petit bijou où l’écart dans l’habitude émet des vibrations qui permettent de sortir du cadre. Tout ceci dans une écriture à la fois belle, poétique, imagée, sensuelle. Un livre hors les courants marins.
Un coup de cœur pour ce premier roman.