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Utøya
7.3
Utøya

livre de Laurent Obertone ()

Retour de lecture sur “Utøya” un récit écrit par Laurent Obertone en 2013 sur Anders Behring Breivik, terroriste norvégien d'extrême droite, responsable d’une tuerie de masse sur cette île norvégienne d’Utoya, le 22 juillet 2011. Obertone est souvent considéré comme l’écrivain fétiche de l'extrême droite, et a une certaine influence auprès d’anciens ministres de droite, ainsi que de Nicolas Sarkozy. Je ne connaissais pas le CV de cet auteur avant, cela aurait probablement eu un impact dans mon choix de lire ce livre, qui ne manque finalement pas d’intérêt. Il nous raconte, de manière très détaillée, minute par minute, cette dramatique journée à la première personne, en nous mettant à la place du tueur. Breivik commence son parcours criminel en faisant exploser une bombe devant un bâtiment fédéral dans le quartier gouvernemental d’Oslo à 15h26. Deux heures plus tard, habillé en policier, il tire à l’arme automatique sur des jeunes travaillistes réunis en congrès sur l’île d’Utoya, située sur le lac Tyrifjord, à une trentaine de kilomètres de la capitale. En tout, Breivik a réalisé un véritable massacre, tué 77 personnes et fait près de 200 blessés qui resteront pour beaucoup lourdement handicapés.


Le livre est structuré essentiellement en deux grandes parties, dans la première partie l’auteur nous raconte la journée du 22 juillet, comment se sont déroulés les deux actes terroristes et dans la deuxième partie nous assistons au procès et à la vie en prison de ce tueur de masse qui ne regrette rien. L’auteur a eu accès aux dossiers judiciaires, aux témoignages de victimes, et il a visiblement lu le manifeste délirant que le tueur a rédigé pour justifier ses actes et expliquer sur pas moins de 4000 pages tous les fondements de son idéologie. Le récit du massacre est particulièrement glaçant et difficile à lire puisqu’on participe, en étant dans la tête du tueur, à une reconstitution très précise du massacre. Cela se passe de manière très froide, il n’y a aucun sentiment, aucune compassion pour les victimes. Obertone insère dans le récit du parcours sur l’île, un décompte des victimes, accompagné à chaque fois d'un extrait du rapport d’autopsie. C’est un peu répétitif, mais très bien fait, efficace et d’un réalisme incroyable, c’est malaisant et glace littéralement le sang.


Dans la deuxième partie, il simule la pensée du tueur, qui, même si c’est un malade, possède une certaine cohérence. Breivik est un asocial, frustré, replié sur lui-même et sur sa funeste idéologie. On a à peu près droit à tout: un immense isolement mental, un manichéisme primaire, une mégalomanie extrême, un héroïsme fantasmatique, des certitudes mortifères, une haine de l'autre, une ultra-schématisation des rapports de force. C'est finalement une bonne chose que l’auteur soit connu, à tort ou à raison, pour être proche de l’extrême droite. Vu l’image qu’il donne du tueur, on ne pourra pas lui reprocher d’avoir exagéré volontairement le caractère délirant de la pensée de Breivik. On ne peut pas non plus lui reprocher d‘utiliser ce livre comme vitrine pour ses propres idées. La portée littéraire de ce livre est très limitée, même si c’est le même principe de narration que pour “l’adversaire” de Carrère ou “la mort est mon métier” de Merle. Les faits sont ici particulièrement précis, très bien expliqués, très documentés, cela reste d'abord un gros travail de journaliste, avant d'être un roman.


Ce livre est intéressant pour la manière dont le milieu psychiatrique a abordé le cas Breivik. La notion de folie étant souvent liée au caractère aboli ou altéré du discernement de la personne concernée. Nous avons affaire ici clairement à une pathologie mentale et pourtant la personne, assumant tout, peut difficilement être considérée comme “folle”. Le profil psychiatrique de ce tueur est très bien détaillé et expliqué, même si cela est fait à l’emporte-pièce. Cela correspond bien à cette personnalité, et je ne pense pas qu’elle mérite un traitement avec beaucoup plus de subtilité. Il est identifié comme faisant partie des “Violent true believer” et on nous explique bien comment ces profils particulièrement dangereux, souvent surdoués, en arrivent là. Comment ils arrivent à construire un mode de pensée et un raisonnement totalement déviant, et arrivent à se persuader que c’est la seule vérité qui existe. A travers ce genre de récits, on apprend aussi beaucoup de choses sur le fonctionnement de nos sociétés occidentales, et nous montre ce que peuvent être ces “erreurs-système”, comme Breivik se qualifie lui-même, ces gens extrêmes, totalement décalés, responsables et conscients de leurs actes, et capables de produire la pire des horreurs.


Je retiendrai finalement de ce livre qui bouscule son lecteur, le témoignage d’un médecin de l’hôpital d’Oslo qui a soigné certaines victimes : “Je croyais en notre monde, je croyais à la bonté, je sais maintenant que Breivik existe”.



Daniel_Sandner
7
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le 13 janv. 2025

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Daniel SANDNER

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