Incontournable Novembre 2023


Cynisca, fille d'Archidamos II, roi de Lacédémone, âgée de 7 ans, entreprend la formation qui fera d'elle une Spartiate, un privilège que seuls les garçons peuvent en temps normal recevoir. Victorieuse, elle promet à la déesse Orthia qu'un jour, elle portera une victoire en son nom. Devenue la meilleure cavalière de sa nation, Cynisca croit qu'elle pourra remporte une victoire sur le champs de bataille, mais la guerre, dans toute son absurdité, ne lui semble pas la voie à suivre. Que faudra-t-il à la guerrière et princesse pour trouver à la fois le moyen de tenir sa promesse et sa place dans une société encore si profondément divisé entre hommes et femmes?



J'avais déjà lu "une pour toutes" du même auteur, alors je reconnais ce style "biographique" teinté de fantasy basse. Dans Une pour toutes, le Diable tenait compagnie à intermittence à Julie D'Auvigny, la personnage historique, et ici, nous avons Cynisca, princesse de Sparte, dont la vie est liée à la déesse de la fertilité et du monde sauvage, Orthia, déesse antérieure au panthéon grec et dont le nom est couplé à celui d'Artémis, ce qui ne lui plait pas du tout.



Tout comme je l'ai vu avec le récit de Julie d'Auvigny, le style de narration de Jean-Laurent Del Soccorro, auteur italien, diverge du style narratif plus conventionnel. Dans Une pour toutes, qui avait une plume théâtrale, Vainqueuse a une plume royale, un peu tragique. J,ai du mal à mettre des termes précis, m'étant pas experte du monde des lettres, mais la façon qu'ont les personnages de se parler a quelque chose de très noble, de très classe. On n'a pas de mal à les imaginer droits de posture et soucieux de leur locution. Quand au temps, tout comme dans l'histoire de Julie, il s'agit de relater une histoire à saveur biographique, il y a donc un long espace temps, des 7 ans de Cynisca à ses 42 ans. Donc, dans sa structure, l'histoire est quelque peu atypique. Ce n'est pas forcément le livre le plus addictif, mais assurément un livre intéressant. Je pense que certains lecteurs et lectrices seront rebutés par son aspect narratif général, parce qu'il ne ressemble pas à un roman standard. On prend le temps de parler des normes sociales, des traditions et des enjeux politiques, car en demi-biographie, il faut remettre les choses en contexte. À cela s'ajoutent les termes étrangers et historiques, qui sont le propre des romans d'Histoire et qui ralentissent le rythme de lecture. Personnellement, ça me plait, car quand on plonge dans une histoire avec un contexte réel ou inspiré fortement du réel, on s'attend à être dépaysé et surtout, informés.



Il faut cependant que je ramène ici ce que Del Socorro lui-même a précisé. L'histoire de Cynisca n'est pas dénué de libertés historiques ou d'une certaine "magie". Dans Vainqueuse, les Dieux existent, même s'ils et elles ne semblent guère se mêler aux mortels. Orthia, la déesse dont Cynisca veut auréolée de gloire, passe par de nombreux intermédiaires, objets et animaux, pour lui parler. Quand au contexte historique, s'il semble construit de solides recherches, reste que Del Socorro a prit certaines libertés quand au féminisme de cette époque. On peut penser notamment au fait que Cynisca, bien que réellement considérée comme la première femme a avoir gagné aux Jeux Olympiques, a probablement été représentée par une tierce personne, n'ayant pas participer elle-même. Euryleonis, une jeune spartiate qui apparait dans le roman , a cependant réellement remporté les Jeux à la cours de chars, en 396 et en 368 avant l'ère commune. Vous trouverez les précisions historiques à la fin et elles sont très intéressantes. L'une d'elle spécifie que rien ne prouve que l'agogée, formation réservée aux jeunes hommes, a pu être suivie par une femme, mais dans le roman, elles sont au moins deux ( Cynisca et Euryleonis).



N'empêche que ça fait plaisir de lire sur ce groupe de femmes audacieuses et courageuses qui se sont unies pour s'élever contre un patriarcat tout-puissant et des règles extrêmement injustes. Épaulée de la Reine Cléora, ses deux filles, Prolyta et Eupôlia, la conjointe de longue date de Cynisca, la thrace Stratonice, et la jeune apprentie Euryleonis, Cynisca apprend à déjouer les limites imposée à son genre et gérer ses appréhensions. Elle a beau incarner la force si chère aux Spartiates, reste que c'est une femme vulnérable qui craint des choses, comme tout le monde. Ses quatre chevaux qui firent avec elle une course importante portent d'ailleurs les noms des Dieux associés à chacune des craintes qu'elle veut surmonter ou des vertus qu'elle souhaite défendre. Les liens qu'elle entretient avec ses frères, son amour pour son père et sa conjointe, sa promesse de remporter une victoire au nom d'Orthia et son désir de liberté sont autant d'enjeux qui habitent sa vie et qui sont au cœur de ses conflits intérieurs et des actions qu'elle entreprend. Il y a donc une grande composante psychologique et philosophique dans cette histoire, entre les difficulté du rôle royal, celui d'être une femme dans un monde sexiste et la crainte de sombrer dans l’oubli ( autant pour Cynisca que pour Othia, d'ailleurs). Il y a assurément une quête initiatique dans l'histoire de Cynisca, mais elle n'a pas le mauvais gout d'impliquer une solution simpliste ( comme de tuer un Gros Méchant). Cynisca tâche de trouver sa place et de défendre se convictions, et cela ne se fait pas en une fois, ni rapidement.



Entre autres éléments qui m'ont plus, je note la grande complicité et complémentarité du couple composé de Cynisca et Stratonice, pas seulement amantes, mais aussi meilleurs amies et camarades de guerre. Elles évoluent ensemble et ne se chamaillent pas pour des futilités. Au contraire, je les ai trouvées matures, bonnes communicatrices et capables d'une confiance aussi grande que leur tendresse. Ça fait toujours du bien de voir des couples dont les enjeux sont en-dehors de leur couple et non dedans ( parce que plus souvent qu'autrement, ça devient toxique). Être conjoint.e.s, il me semble, c'est tenir un rôle complexe, mais qui, à terme, fait avancer les gens sur la voie de l'auto-actualisation. Et c'est que les deux femmes semblent s'être apporté.



Petite mention spécial à Agésilas, le frère cadet de la fratrie de Cynisca, un personnage qui a su passer par-dessus une certaine tendance sexiste et qui rappelle que le patriarcat fait aussi des victimes chez les hommes.



C'est donc un autre beau roman pour cet auteur qui affectionne les personnages féminins d'exception et leur apporter l'éclairage qu'elle aura bien méritées sur la scène historique. Un roman truffé de poésie grecque et doté d'un joli phrasé, qui présente une histoire réellement féministe.



Pour un lectorat adolescent, à partir du premier cycle secondaire, 13 ans+

Shaynning

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