Alain Damasio, sans doute la voix française la plus connue des littératures de l'imaginaire aujourd'hui, s'essaie à l'essai. Plutôt conteur que penseur, l'auteur, qui se décrit lui même comme technocritique, décide d'aller au contact de l'"ennemi", de penser contre lui-même, en arpentant la Silicon Valley, ses lieux et ses êtres, et en rapporte des chroniques diverses lui permettant de développer ses différents concepts, comme le techno-cocon (le fait que la technologie nous permet de nous abriter des turpitudes de la vie dans un nid douillet de sécurité et d'auto-confirmation), cette même technologie qui offre pouvoir au détriment de puissance, qui connecte sans lier. il prêche pour une redéfinition des rapports de domination, de contrôle, d'addiction et d'individualisation que les technologies numériques entretiennent avec nous.
Avec sa verve habituelle (que l'on adore ou que l'on déteste, mais qui ne laisse jamais neutre), Damasio rencontre, écoute, décrit. Cela donne des récits fantasques, sautant parfois du coq à l'âne, c'est une chronique, l'auteur livre les pensées comme elles lui viennent, c'est diffus, confus - à dessein. Il ne s'agit pas d'intellectualiser, de systématiser, ni même de décrire, il s'agit, une fois de plus, de vivre. Cela donne des révélations mystiques dans l'Apple Store de Cupertino, des voitures autonomes qui se mettent à tuer, de conceptualisation du quantified self en corps / décorps / raccorps / accorps, sur la part d'artiste qui réside en tout développeur, l'IA Injecteur d'Agression, le très-humain plutôt que le transhumain ; et finir sur l'évidence : la Silicon Valley et les GAFAM sont bel et bien, aujourd'hui, le centre du monde, et ce centre a pour objectif principal le profit. La technologie n'est jamais neutre.
Nous devons nous la réaproprier, nous former, nous ne savons pas utiliser les technologies numériques, nous devrions tous devenir, à notre niveau, des hackers, ne se contentant pas d'utiliser un produit tel qu'il nous est donné, afin de retrouver notre puissance d'agir.
Restant un conteur, Damasio termine son livre par une novella biopunk, qui parle d'hybridation entre le vivant et la technologie, qu'il voit comme un porte de sortie possible à l'époque écocidaire.