Écrit par Tatsuhiko Takimoto, un auteur qui a lui même souffert de dépression chronique à cause de son état de hikikomori, le livre parait au premier abord être une oeuvre sur laquelle plane immanquablement un soupçon de vécu et d'autobiographie. Néanmoins, le cynisme et l'ironie se mélangent dans les pensées du narrateur et personnage principal — Satô Tatsuhiro — et on comprend que le roman tempère tout du long sa thématique pesante. L'introduction du personnage secondaire haut-en-couleurs qu'est Yamazaki, le voisin de chambre du héros, en est la meilleure preuve; et le récit est, in fine, véritablement une fiction.


    Adapté en anglais par l'éditeur nord-américain Tokyopop, le court roman frappe premièrement par sa pauvreté stylistique qui est éventuellement imputable au traducteur. Mais en dehors des phrases simples et du lexique limité et répété, c'est la narration même qui déroute. Des choix des mots narratifs jusqu'aux actions du personnage, tout parait brouillon, et plus on avance dans la lecture, plus les événements du récit semblent venir de nulle part, ou alors sont justifiés de manière bancale. Tout ceci dans un style carrément médiocre. Il n'y a aucune incohérence choquante mais on a le sentiment que le récit ne tient pas debout, comme si tout le roman n'était qu'une version préliminaire jetant des idées qu'elle développe à peine; un premier jet auquel il faudrait faire subir toute une réécriture pour le publier (et pourtant, il est bien là). En effet, il y a des passages du roman dont on questionne vraiment l'utilité, l'introduction de personnages (vraiment secondaires) qui ne présentent aucun intérêt. Pour faire bref, tout ça manque de liant (en plus d'une qualité purement littéraire).


    Ainsi, plus on s'enfonce dans la lecture et plus on se rend compte du formidable travail du studio Gonzo pour la version TV (si on a vu cette dernière auparavant) : l'animé, en comparaison, est une version revue et (très) corrigée qui abandonne les passages superflus et qui ré-agence, recoupe et fusionne les événements du récit d'une manière qui fait beaucoup plus de sens que dans le livre. C'est comme si les réalisateurs avaient pris conscience de la médiocrité du matériau de base et avaient décidé d'en faire quelque chose de solide, comme s'ils écrivaient eux-même le deuxième jet du roman, plus dégagé, cohérent et moins confus, que l'auteur original aurait eu la flemme de faire. En plus d'adapter le roman en le subjuguant, les réalisateurs ont aussi pris la peine d'écrire de nouveaux personnages assez marquants, chose qui manque cruellement au roman. En fait, une grande partie de l'animé repose sur sa peinture de personnages plus ou moins marginaux qui refusent de grandir et prendre place dans la société, qui renient par ce comportement leur passage à la vie d'adulte et ses désillusions, et ceci via plusieurs arcs narratifs (l'école de Yamazaki, l'île, le MMORPG, le frère de Megami, la rencontre avec Hitomi), la plupart de ces épisodes étant totalement absents du livre.


    Certes, le livre pose les bases qui font toute l'originalité de l'histoire de NHK ni Yôkoso — un jeune homme qui s'invente une théorie du complot pour justifier sa situation sociale, un projet fou de s'en tirer via la production d'un jeu pornographique, le contrat naif liant Satô et cette jeune fille mystérieuse qui lui promet un moyen de réintégrer la société — mais toute l’œuvre manque d'un réel deuxième degré de lecture, qu'on peut trouver dans la version animée. Preuve, encore une fois, de tout le soin apporté au découpage et à la réécriture du scénario, à la mise en scène et à la mise en musique, mais aussi au brossage de nouveaux arcs et de nouveaux personnages de la production estampillée Gonzo, dans le but — de manière pragmatique — d'avoir 24 épisodes, mais aussi d'étendre le propos original de NHK ni Yôkoso, d'en tirer quelque chose ; à la fois pour donner de la consistance à l'histoire (le roman est affreusement creux!) mais aussi pour donner de quoi réfléchir au spectateur ; ce que le roman ne donne pas l'occasion au lecteur.


    Je suis conscient que je dresse là une critique un peu déséquilibrée dans le sens où j'oppose le roman à l'animé en permanence. Le roman gardera toujours pour lui le mérite de s'être penché sur le phénomène des hikikomoris au tout début des années 2000, et de raconter une histoire originale. Et au fond cette dernière, fragile, boiteuse, cette narration sans style fait tout-à-fait écho au jeu vidéo que développe Yamazaki dans l'histoire. Mettant tout son cœur à l'ouvrage, Yamazaki rêve de success-story à partir de son jeu indépendant. Aussi impliqué est-il dans la création de son jeu, au fond, Yamazaki veut surtout laisser une trace de son existence, faire quelque chose. Se donner l'illusion qu'il s'en sortira grâce à cela, tout du moins s'en donner les moyens, et le reste, c'est le sort qui décidera. Et en dépit de tout cela, comme bien plus tard Satô en conviendra, le jeu sur lequel son pote et lui ont tant taffé se révélera être merdique; et le destin rattrape Yamazaki pour le faire succéder à l'emploi de son père, fermier. Tatsuhiko Takimoto a certainement voulu faire son maximum en écrivant ce livre; il a essayé, et il y a même vu une possibilité de peut-être s'échapper de sa propre vie d'hikikomori, comme il le dit dans une des post-faces. En celà, il faut voir NHK ni Yôkoso une tentative aussi honnête... que mercantile.


    En somme, préférez l'adaptation animée, bien plus intéressante que son support original qui, quoiqu'on en dise, reste un bouquin très mal foutu

Kharel
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le 14 oct. 2016

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