Women
7.6
Women

livre de Charles Bukowski (1978)

Circulez y'a rien à voir !


Faites pas attention à la montagne de canettes de bière, de bouteilles de vin, de vodka, de whisky qui barre la route d'un petit appartement, taudis au fond de Los Angeles, ni aux cris qui émanent des murs dégueulasses de cette décharge. Ça hurle de peine, de joie, de jouissance, ça pue la vie, l'alcool et la baise.
Ce bouge immonde, c'est celui de Henry Chinaski.


Vieil écrivain alcoolique, obsédé, méprisant et méprisé, il accumule les histoires d'amour ou plus souvent de cul autant que les gueules de bois, étale son obscénité devant les prudes, les bien pensants, il choque et énerve, insulte et baise.
C'est que lui, c'est un type d'en bas. Postier avant d'être écrivain, alcoolique avant d'être publié, humain avant d'être reconnu. Sa petite célébrité ne lui sert qu'à se payer des coups et des filles. Du haut de ses soixante piges, Chinaski trimballe son fier gourdin dans toute l'Amérique et conte ses aventures.


Les aventures d'un salaud, contes d'une folie ordinaire, celle qui pousse les hommes toute leur vie vers des corps parfois divins, parfois gracieux, parfois quelconques ou mal foutus, vers des âmes venues d'un pays si différent et si désirable. Toutes ces femmes, si différentes et pourtant si semblables, qui se bousculent à l'entrée de son appartement miteux pour approcher la légende, pour titiller la veine obscène de son existence, toutes ont ce pouvoir, cette emprise sur lui.


Parce que derrière son autoportrait de salaud assumé, de vieillard alcoolique ravagé, insupportable et crasseux, derrière toute l'énergie qu'il met à cracher sur ses semblables, il laisse par instants passer une vérité.
Chinaski aime les femmes.
Plus que la baise, plus que collectionner les coups, plus que l'alcool, il aime comme peu de gens peuvent aimer. En recherche permanente de tendresse, d'affection, incapable de refuser quoi que ce soit à quiconque possédant la moindre once de féminité, Chinaski succombe, invariablement, immanquablement, s'éprend de toutes ces femmes qui font irruption dans sa vie.


Malgré l'odieux portrait de salaud qu'il peint de lui, sa tendresse perce sous les descriptions ininterrompues de scènes de baise, au gré de quelques phrases lâchées innocemment entre deux cons. Sa carapace se fissure alors et laisse apparaître un homme ravagé, à vif. Un type qui brûle la vie par les deux bouts, franc, sincère, bourré de qualités et d'alcool.


Ses conquêtes ne le voient pas forcément. Probablement pas d'ailleurs. Tout occupé qu'il est à limer en bas puis à hurler en haut, le vieil homme fait fuir. Par peur sans doute.
Alors tout casse. Les espoirs, les relations, les voitures et les meubles, tout se brise avec un fracas inhumain, parce que Chinaski aime trop fort. Alors il hait trop fort. Il crie, blesse, méprise. Il emporte tout.


Arrêté par moments dans sa litanie d'amantes, Chinaski noie sa misère seul dans des litres d'alcool. Tout ça parce qu'il a le malheur d'aimer les femmes. Un trop plein d'amour et de tendresse qui l'isole, incompris, souffrant de cet excès. Putain d'erreur. Il passe pour un con, Chinaski. Le roi des cons. Pourtant, j'vous le dis moi. Si on fait gaffe, si on l'écoute un peu, si on picole avec lui, on le verra comme il est vraiment.
Un type formidable, ce salaud.

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le 19 mars 2017

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