J’ai terminé le Passage de l’Opéra du livre Le paysan de Paris d’Aragon, et si je l’ai d’abord lu comme un code d’effort et des forces de l’écriture, en sourdine et dans le monde, c’est-à-dire donc de manière un peu plombante, c’est légitimement dû probablement à l’avant-propos du livre, Préface à une mythologie moderne, et peut-être aux circonstances dans lesquelles je lis le livre, c’est-à-dire à un moment où je me demande pourquoi je passe mes journées à écrire, et que je réalise que même si c’est parce que j’aime écrire c’est aussi surtout parce qu’il n’y a plus grand-chose d’autre que je sache faire sans souffrir un peu (enfin oui je souffre à l'écrit, mais de la bonne souffrance du sportif, tant mieux puisque j’aime pas le sport, ça compense, c'est toujours ça de pris pour le corps) et que je me demande parfois qu’est-ce qui reste quand j’arrête d’écrire, à part l’amour de ma blonde qui est brune et l’amitié des amis, qui ne sont pas toujours là, ni elle ni eux bien sûr, heureusement, et surtout du coup si c’est si important pour moi tout ça pourquoi j’écris dès que ça devient sérieux dans un sens qui donne toujours l’air de ne pas vouloir être compris.


Alors au début de la première partie du livre d’Aragon, je transposais l’idée de la préface, à sa poésie en prose sur le Passage de l’Opéra, l’idée que le monde sous un certain regard peut devenir une mythologie, je focalisais sur l’aspect mythologique j’en oubliais un peu le monde, c’est rassurant, parce que seul face à mon propre texte je ne me retrouve plus seul du tout, puisqu’il y a dans l’évocation d’une Mythologie l’éventualité, l’imaginaire dans mon cas, du genre de l’imaginaire qu’on punaise en collection comme un papillon, d’une communion transcendante dans les mots, vers des dieux rien que pour moi… c’est à peu près ce qui a donné ma première critique sur le livre.


Et progressivement c’est d’autres sensations d’un autre âge où je visitais Paris parfois, qui sont venus percer mon vieil esprit de raison toujours là même dans l’erreur, des vrais morceaux de souvenirs sensibles sur lesquels les dieux lexicaux ne poussaient donc plus que par le dessous… souvent à partir du soir pour toute la nuit sur un coup de tête fut un temps j’allais à Paris, je vivais dans un petit village fleuri, Giverny, qu’on n’a pas trop envie de quitter le soir pour Paris mais de temps en temps oui, alors on y va habillé chic ouvert à l’amour surtout, c’est qu’à Paris j’avais plus de chance de croiser des filles de mon âge, alors parfois je laissais Claude Monet à sa tombe qui a préféré y mourir là-bas lui, au milieu de ses nymphéas, probablement que lui, à son âge et à son art, les filles faisaient le déplacement pour le voir.


J’y allais les mains et le cœur bouillant de vouloir attraper un événement parisien, et si cet événement devait venir à moi sous le clin d’œil d’une fille bouillante comme moi, alors j’aurais changé de verbe pour quelque chose de plus romantique, attraper, c’est trop Pokemon.


Dans le fond c’est comme l’écriture tout de même, dans l’hystérie des possibles je n’étais pas tout à fait avenant, pas autant que j'aurais pu, donc aucun clin d’œil si ce n’est un seul je crois celui d’une anglaise autour d’un pâté dans une brasserie qui allait bientôt fermer de toute manière, on s’est dit au revoir sans numéro de téléphone, un cornichon sur l’oreille pour la route.


Mais peu importe, les événements à Paris c’est comme des éponges qu’on essore, l’éventualité de l’amour suffit, donne le sens à la pression, tout devient érotique, la gare, les grands boulevards, les supérettes, les bars gays, les bars pas gays, les bars en tous genres, les bars à jazz où on te regarde de travers parce que t’as vingt ans, c’est presque des clins d’œil, mais le verre de vin est à huit euros, probablement que ça se voit que t’as pas de quoi, alors qu’en plus t’as de quoi… on n’y reste pas plus de cinq ou six verres. Se faire racketter à Saint-Lazare même, d’un téléphone et d’une paire de lunettes de soleil Ray-Ban, c’est moelleux, faut dire que t’as cinquante euros de pif dans l’pif.


Bref le soir à Paris, les événements et les lieux sont comme des éponges avec lesquels on couche presque, on s’y love, comme cet homme étrange que décrit Aragon,
Éponges en bocal, éponges libres, au grain plus variable que le vent, au grain plus variable que celui de la peau des femmes, fin-fin comme une serviette nid d'abeille, ou poreux comme les grottes sonores de la mer où s'étirent toujours des tritons coiffés d'algues vertes, éponges qui gonflez sous les chagrins de l'eau. J'ai connu un homme qui aimait les éponges. Je n'ai pas l'habitude d'employer ce verbe au sens faible. Cet homme aimait donc les éponges. Il en avait de toutes tailles, de tous calibres. Des roses, des safranées, des purpurines. Il en teignait. Et il en avait de si tendres, qu'il ne pouvait se défendre de les mordre. Les plus belles parfois il les déchirait dans son délire, et il pleurait vraiment sur leurs splendeurs éparses. Certaines, il les léchait. Certaines, il n'eût osé les toucher, c'était des reines, des personnes tellement haut placées. D'autres, il les enfilait simplement. J'ai aussi un ami qui faisait l'amour en rêve avec des éponges. Mais lui, pour cela, se bornait à les prendre dans ses paumes et à les serrer : vous voyez comme c'est facile.
au début du bouquin, j’y aurais vu la métaphore d’une manière d’essorer une bonne idée pour en faire une critique, et puis pouf miracle, ici après que les mots d’Aragon aient de nouveau fait vibrer quelques cordes oubliées, poussiéreuses qu’il fallait de nouveau roder, ça devient un voyage à Paris, un vrai, authentique, pur et dur, que les dieux lexicaux ne poussent que par en dessous, et non qu’ils tirent cette fois… pour en faire une critique aussi c’est vrai, mais là c’est un souvenir que je presse, c’est que ça donne du cœur à l’ouvrage, la mélodie bleue d’un temps mort qui ressuscite.


Oh Dieux de l’enfer, pourquoi les grues désœuvrées caressent-elles ainsi chantonnant le marbre fêlé des tables ?


Car Estelle, ainsi chantonnant le marbre, fait laide étable.

Vernon79
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le 3 janv. 2019

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Vernon79

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