Berzerk
7.4
Berzerk

Morceau de Eminem ()

Autant ne pas y aller par quatre chemins ; Berzerk est la pire chose qu' Eminem aurait pu proposer comme single officiel pour l'annonce de son nouvel album. Fait contradictoire, il s'agissait sûrement du meilleur moment pour le faire découvrir au public pour le rappeur de Détroit.

En pleine tournée européenne notamment en Belgique, aux Royaume-Unis et en France pour une date unique au Stade de France, Eminem était sûr de conforter l'amour du public de l'ancien continent pour sa musique comme pour son personnage. Accentué par le fait que les visites de l'ancien peroxydé en Europe se comptent sur les doigts d'une main et que l'annonce de l'annulation de sa venue il y a quelques années pour cause d'addiction aux médicaments avait fait grand bruit.

Du côté du pays de l'Oncle Sam, la réputation de l'ex Slim Shady est déjà plutôt au beau fixe. Son statut de PDG de son propre label Shady Records est reconnu comme plutôt rentable et crédible et a permis l'éclosion de figures qui ont su tirer leur épingle du jeu dans le paysage du rap américain comme les quatre vétérans de Slaughterhouse. Et on l'a même vu au lancement du nouveau Call of Duty : Ghost pour une performance du titre "Survival", crée spécialement à la demande des créateurs du jeu. Bien que le titre ne soit pas fait pour rester dans les mémoires, une chose est certaine, Eminem ne chôme pas et continue d'exciter le monde de la musique à chacune de ses apparitions.

C'est donc une image d'artiste ayant confiance en lui et en ses capacités autant qu'en meneur d'hommes que de simple personne ayant repris sa vie en main qu'Eminem renvoie au monde en ce milieu d'année 2013. C'est donc à ce moment , le 27 août pour être précis, qu'il décide via Twitter de sortir un nouveau single, lequel fait suite à l'une des annonces les plus importantes de cette année.

Si la nouvelle brûlait les lèvres de la presse musicale comme des fans invétérés, personne n'osait vraiment y croire, et pourtant il leur a confirmé leur fantasme. Le 25 août aux MTV Music Awards, le Détroitien annonce qu'il est bel et bien en préparation d'un nouvel album, qui plus est prévu pour cette fin d'année, soit le 5 novembre. Mais la nouvelle ne s'arrête pas là, car c'est bien le titre de ce nouvel opus qui a fait couler beaucoup d'encre dès le lendemain, puisqu'il se nomme The Marshall Mathers LP 2. Soit la suite de son classique de chez classique sorti en 2000, considéré unanimement comme l'un des meilleurs albums de rap au monde et contenant les singles mondialement connus "Stan" et "The real slim shady", entre autre. "Berzerk" est alors lancé ce 27 août, après cette annonce fracassante dans le monde du rap américain, après ce qui ressemble à une campagne de communication des plus exemplaires.

Après plusieurs écoutes, le constat est implacable et provoque la pire des douches froides. Eminem nous propose un énorme retour en arrière avec un son des plus old school tout droit sorti des enceintes des ghetto blasters des années '80. Produit par le barbu Rick Rubin, le morceau nous ramène trente ans en arrière à une époque que le producteur a bien connu puisqu'il était l'une des figures majeurs du non moins célèbre label Def Jam. Il ne faut pas beaucoup de temps d'ailleurs pour que le ghetto blaster sur la pochette du single "Berzerk" fasse penser à la radio de l'album éponyme de LL Cool J sorti en 1985, alors proche du producteur. Les plus attentifs iront même jusqu'à reconnaître des cris des Beastie Boys pris des titres "The new style" et "Fight for your right (to party) marquant une empreinte old school des plus voyantes.

Si la production sobre, dure et squelettique de Rubin a déjà prouvé sa valeur notamment avec "99 Problems" de Jay-Z, chez Eminem la surprise laisse place à l'incompréhension. Il le dit très bien d'ailleurs au début du titre, ce single est fait pour représenter, marquer et imprimer un esprit de l'ancienne école du rap, et là dessus c'est gagné. Le soucis c'est que le Détroiter n'a jamais sonné de cette manière là alors même qu'il était pendant la décennie précédente l'artiste qui représentait le mieux le rap à travers le monde. Au contraire, le rappeur alors encore sous les traits de Slim Shady avait amené un son, une ambiance, des thématiques que personne n'avait déjà entendu jusque là et que personne ne pensait réalisables. Dès son premier album "The Slim Shady LP", il avait su se rendre unique tandis que pleins d'ersatz se cassaient les dents à essayer de reproduire le style qu'il avait lui même crée, pour au final devenir le meilleur artiste que le genre ait jamais connu. Marshall Mathers pour les intimes avait trouvé le parfait mélange entre codes du hip-hop à réinterpréter comme l'un des flows parmi les plus techniques et captivants du circuit et son propre univers à modeler pour sortir de la masse.

Avec ce nouveau single, le voilà dans l'univers du hip-hop à l'ancienne, soit du rap pur et dur, celui par lequel les labels se sont professionnalisés, les enjeux économiques ont grimpé en flèche et les artistes d'hier sont devenus des superstars d'aujourd'hui. Eminem se retrouve alors à jouer à l'extérieur et non plus à domicile, ici plus question d'ambiances taillées sur-mesure, le contexte n'est pas à l'introspection ou autres thèmes qui lui sont chers, les règles ont changées. Le soucis c'est que de l'autre côté, de nombreux artistes jouent eux, à domicile, et les quatre minutes du single permettent de se rendre compte qu'Eminem n'est pas à l'aise dans ses Nike Air comparés à d'autres MCs s'ils avaient pu poser sur ce genre d'instrumental. Bien sûr l'ex Slim Shady fait le travail en brayant toujours autant dans le poste même s'il tente des variantes dans son flow, modifiant sa voix, jouant avec les tonalités, jusqu'à ce qu'une évidence saute aux yeux.

Un air de déjà vu semble parvenir aux oreilles des fans et cela n'est pas anodin. Eminem sonne comme à l'époque début années 2000 avec la sainte trinité de ses premiers albums. Un grain de folie comme celui qui avait fait tant parler de lui parcourt un peu ce single. Puis arrive le clip sorti sur Vevo grâce à la plateforme Youtube le 9 septembre. Une radio, une cassette avec "beats" marquée dessus, le bouton Play qui s'enclenche, ce qui justifie la radio sur la pochette et ce côté old school assumé. Puis arrive cette dixième seconde. Où à côté du grand barbu Rubin, le Détroiter apparaît de nouveau blond. L'image suivante nous le montre avec son T-Shirt blanc si caractéristique de son clip "The real slim shady" et surtout permet de constater qu'il a bien oser refaire le coup de la peroxydation a quarante ans passés. L'effet est si immédiat, si gros, tellement provoqué d'une manière calculée qu'il en ferait presque perdre son but initial ; celui de prouver qu'avec son prochain album "The Marshall Mathers LP 2", Em' tient à marquer un certain retour aux sources. Ce qui devait sonner comme un événement majeur pour les fans et permettant à Eminem de prendre encore plus d'assaut les médias, a pourtant du mal à passer.

Avec son dernier album en date sorti en 2010, le rappeur avait réussi là où beaucoup l'avaient déjà laissé comme finit, incapable de se relever après ses problèmes personnels et principalement son addiction aux médicaments entre 2004 et 2009. "Recovery", qui porte d'ailleurs très bien son nom, avait remis Eminem sur les rails et lui permettait de clouer le bec aux critiques, renaissant de ses cendres comme un phénix. Mais la convalescence fut tout de même rude pour un Marshall Mathers confronté à un monde du rap qui n'avait pas arrêté de tourner pendant son absence. Il était devenu un rappeur qui devait faire ses preuves, essayer de comprendre le nouveau public et reconquérir ses plus anciens fans. Pour toute une nouvelle génération, Eminem n'était probablement qu'un rookie qui venait de commencer sa carrière ou un vieux de la vieille pas assez hype pour qu'on s'en occupe. D'autant plus qu'à part "Not afraid", le Détroitien doit le succès de son retour à une chanteuse R'n'B habituée des tabloïds et d'un rappeur à slim léopard. En regardant de plus près les cibles favorites de l'ex-blondinet dans ses singles à succès comme "The real slim shady" ou "Without me" telles que Britney Spears, Christina Aguilera ou Will Smith, l'ironie du sort est plutôt bien trouvée. Ce qui pouvait être considéré comme un retournement de veste par le rappeur est aussi à mettre sur le dos de la maturité. Désormais clean, décidé à tirer une croix sur sa vie de débauche d'avant, d'assumer de grandes responsabilités comme son propre rôle de père, c'était un artiste plus apaisé et conscient du chemin accomplit que le monde avait pu découvrir. D'ailleurs les premières images du clip "Not afraid", premier single de Recovery, le montraient avec un look beaucoup plus sobre qu'un attirail b-boy et surtout les cheveux bruns, après avoir enlevé ce blond peroxydé qui avait fait sa légende. S'en suivirent les réussites et les actions lui permettant d'asseoir de nouveau sa réputation grâce notamment à son label et les MCs signés.

L'initiative de retourner à un son dit de "retour aux sources" pour Eminem apparaît donc contradictoire avec la route parcourue depuis son retour en force d'il y a trois ans. Si l'annonce peut exciter et réveiller les meilleurs souvenirs parmi les auditeurs ayant grandi avec le rappeur, il n'en demeure une très mauvaise idée qui a souvent vu les artistes revenir à la réalité plus vite qu'ils n'étaient arrivés. Première chose, ce n'est pas parce que l'on nomme son album de la même manière que son plus grand succès que celui-ci sera forcément aussi bon. Le monde du cinéma est rempli de cette constatation, il suffit de regarder les suites qui sont allées jusqu'à couler une licence jusqu'alors parfaite. Si Raekwon du Wu-Tang s'en était plutôt pas trop mal tiré avec son Only Built 4 Cuban Linx... 2 sorti quatorze ans après son inoxydable classique de 1996, le groupe new-yorkais Onyx avait eu moins de chance avec leur Bacdafucup 2 en 2002. Généralement, et peu importe le média, cela traduit un manque d'inspiration de la part de l'artiste, mais le pire c'est que pour Eminem ce n'est même pas ça, puisqu'il le rappeur a montré qu'il avait plusieurs flèches à son arc avec ses derniers projets.

Le clip vidéo de "Berzerk" ne montre pas que la nouvelle couleur capillaire du rappeur, mais bien quelque chose de plus embarrassant. A quarante ans, on y voit le rappeur habillé tel un Beastie Boys et refaire ses mimiques d'il y a dix ans à côté de la cinquantaine de Rick Rubin. Si le clip peut être pris au deuxième voire quarante-troisième degrés comme convenu pour nombre des clips du Détroiter, et est censé être bourré de référénce so rap des '80s, la frontière est plus mince à trouver cette fois-ci et est à deux doigts de rendre les deux personnages ridicules. Comme l'impression que le clip essaie de camoufler qu'en fait Eminem tient à faire plus jeune, de masquer son âge, voire d'exprimer une frustration quant au hip-hop en général en essayant, après sept albums et après n'avoir pourtant plus rien à prouver, de prouver qu'il connaît toujours tout sur le bout des doigts. D'où ces références au ghetto baster, à la cassette, aux vêtements de l'époque que beaucoup de monde adore et idolâtre comme étant un âge capital pour le rap. Un peu comme si il essayait de se rattraper à son passé de peur qu'il ne disparaisse.

Rien ne dit que le reste de l'album The Marshall Mathers LP 2 aura la même pâte que ce single. Ni s'il sera une copie de la pièce maîtresse sortie en 2000. Cependant "Berzerk" est un bon moyen de se rendre compte de la direction prise par Eminem pour cette fin d'année 2013. Reste à attendre le 5 novembre et cet album qui risque de beaucoup faire parler de lui à sa sortie. Il reste à espérer que l'interprète de "Lose yourself" ne s'est pas perdu en route.
Stijl
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le 14 sept. 2013

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