Feelin' Good
8.6
Feelin' Good

Morceau de Nina Simone (1997)

https://www.youtube.com/watch?v=D5Y11hwjMNs


Ma mémoire me joue des tours.
Incapable de dater la révélation, le fracas causé par Nina Simone, je me sens con comme une brique. Pourtant je me rappelle de tout le reste, des à côtés, mais pas moyen de mettre le bout du début d'une phalange sur une date.


Ça a commencé en apesanteur, paumé hors du temps.
Comme un instant que j'aurais volé au passé, au futur, sans que je sache encore exactement comment, à quand ni à qui, mais je sentais bien que le temps s'écoulait pas tout à fait pareil que d'habitude. J'étais comme anesthésié, les sens engourdis, la vue embuée, la gueule dans du coton, doux, agréable, paisible. Ça doit ressembler à quelque chose comme ça le paradis, une éternité enfoui dans un blanc confortable.
Là, dans mon confort ouateux, je sentais frémir un murmure, une présence. J'avais beau essayer d'ouvrir les yeux, j'étais piétiné par l'océan de douceur qui m'entourait, j'avais les paupières lourdes, inamovibles, suturées entre elles. Tout ce qui me raccrochait au monde extérieur, c'est une voix.
Une voix qui brisait le silence, seule, qui caressait mes oreilles et a fait tressaillir toute ma carcasse. Une voix qui venait d'une autre planète ou d'une autre réalité, c'est pas possible autrement. Ça existe pas par chez nous des machins comme ça. Y'a forcément du mystique derrière. Si t'as déjà vu passer un ange, tu me comprends.


Et puis ça a grandi. Ça enflait. Impossible de la rater, elle envahissait tout, s'envolait toujours plus haut, montait, montait, montait...


Et soudain ça a éclaté.
Explosée ma bulle, dilapidée ma tranquillité, évanoui mon paradis.
Retour brutal sur Terre, les pieds plâtrés dans le bitume, K.O. debout. Ça défilait dans ma tête à une vitesse folle, tellement vite que je pigeais pas vraiment ce qu'il se passait, ça convoquait trop de choses.
Je me suis trouvé bloqué sur place et pourtant, j'ai pris des torrents en furie en travers de la tronche, des volcans en pleine éruption, des tremblements de terre, des éclipses solaires, des aurores boréales, l'intégralité de ce que le monde peut offrir de grandiose ou de puissant m'a traversé en quelques secondes. Des hordes de lions en pleine savane, des meutes de loups en Sibérie, des bancs de dauphins ont défilé devant moi.
J'ai craqué, submergé par le flot d'émotions engendré par ces foutus cuivres, ce piano discret, ces violons enchanteurs. Je frissonnais de partout, ébloui par l'élégance, la beauté, soudain follement heureux d'être coincé sur ce caillou en dérive dans l'univers, sur le seul caillou de l'univers où on peut entendre Nina Simone.


J'ai fléchi, emporté par cette quintessence d'humanité, par ce cri du monde, par ce langage magique, capable de lacérer toute logique, toute analyse, par ces mots d'une langue que seule Nina parle et que seul mon coeur comprend. Oublié le cerveau, merci et au revoir, on se passera de vos services. Là c'est du viscéral. Du brut, de l'impalpable.


Quelque part entre les hommes et les cieux, Nina Simone continue d'abreuver le monde de sa voix solaire, dilatant les minutes.
Le temps devient un concept superflu, suranné. Le réel aussi.


Je suis mort, je crois. Je ne me rappelle plus exactement, ma mémoire me joue des tours, mais autour de moi, c'est tout blanc, c'est tout calme. Ouateux. Qu'importe, la perfection de Feeling Good continue de retentir dans mes oreilles.
Et le bon Dieu de me tapoter sur l'épaule quand s'évanouit l'écho des dernières notes.
"Remets-la donc, mon pote."

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le 24 mai 2017

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