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Le Chanteur
7.6
Le Chanteur

Morceau de Daniel Balavoine (1999)

Lorsque Balavoine sort « Le chanteur », nous sommes en 1978, et ce sera le premier vrai succès de sa carrière. Les Beatles, les Stones et les Doors, pour ne citer qu’eux, sont déjà bien implantés dans la culture musicale internationale. Ils sont aussi bien connus pour la façon dont ils ont révolutionné le rock que pour leurs frasques. Le fameux slogan « sex, drugs and rock’n’roll » est devenu un art de vivre indispensable à la carrière d’un artiste branché, et d’ailleurs, avec l’avènement de la pop, n’importe qui d’un peu audacieux peut prétendre devenir chanteur, ou musicien, monter un groupe ou écrire un tube.
On nous présente Henri, ou plutôt il se présente lui-même, très académiquement, un peu comme s’il déroulait son CV, sur un rythme de synthé plutôt enlevé. Au départ, le petit Henri semble un peu naïf, un gentil garçon bien élevé qui prendrait la musique comme un simple échappatoire, qui jouerait dans des bals ou dans « les soirées de monsieur Durand », pour s’éclater avec ses potes. Il clame rapidement son besoin « d’être aimé », ce qui devrait nous mettre la puce à l’oreille, mais après tout, pourquoi pas. « J’veux écrire une chanson dans l’vent / Un air gai, chic et entraînant… », nous dit-il, comme si c’était sa seule ambition, et qu’ensuite on entendrait plus parler de lui. Henri, c’est pas le bad boy du siècle, quoi.
Mais il faut se méfier de l’eau qui dort. Si, dans le premier couplet, notre futur chanteur se faisait discret, le refrain qui suit le voit littéralement partir en vrille, et ce n’est que le début. Comme pour souligner l’irruption de son côté obscur, la voix de Balavoine monte tout à coup dans les aigüs, et délivre davantage de puissance et de sensualité, avec une touche d’hystérie dans les propos. L’aspect sexuel apparaît si brutalement que la personnalité d’Henri prend des reflets pervers. Il passe du statut de jeune innocent à celui d’adulte infréquentable en quelques secondes. Bref, même si c’était presque insoupçonnable, Henri se prend déjà pour une star du show-biz, et son plan de carrière est tout tracé. « Et partout dans la rue, j’veux qu’on parle de moi / Que les filles soient nues, qu’elles se jettent sur moi… ». Qu’elles l’admirent, qu’elles le tuent, carrément, qu’elles s’arrachent sa vertu et pas seulement ses vêtements ! Ah ouais, quand même. On est loin des ambitions qu’il égrainait timidement dans sa version 1.0. Monsieur se projette en tant que sex-symbol à la Bowie, et ne rêve que d’une chose : devenir un fantasme pour ses groupies, enflammer, même métaphoriquement, leurs nuits moroses de filles banales. On est limite choqués, mais c’est comme si on s’y était attendu. On imagine Henri, boutonneux à lunettes, rejeté par les filles, qui se défoule sur du rock seul dans sa chambre en rentrant du lycée, persuadé qu’il aura sa revanche, que la célébrité fera de lui un objet de désir. Pas de doute, le morceau devient vraiment jouissif.
Car figurez-vous que la gente féminine n’est pas sa seule cible. C’est ce qu’il y a de bien avec « Le chanteur » (un titre ironiquement court et lisse pour un tel ego) : la chanson monte en pression pour atteindre une sorte de folie, mais aussi de vérité pathétique. En effet, le délire de l’artiste, c’est d’avoir une horde de fans prêts à tout pour lui, alors Henri révèle sa mégalo sans aucun complexe : le tout Paris s’étonnera des ses prestations scéniques, lors de « concerts de 100000 personnes », son public se prosternera à ses pieds comme devant un dieu… Rien que ça.
Le morceau, fondé sur l’imaginaire, n’a pas de temporalité bien définie, mais ce sont plusieurs années de cette vie rêvée qui sont résumées en un peu plus d’une minute. Mais ça ne pouvait pas durer indéfiniment : le vent commence à tourner. Après la grandeur, la seconde moitié du « Chanteur » dépeint la décadence d’Henri. Il en est tout à fait conscient, il sait que ça finirait mal, mais il l’accepte. Sa chute ne semble pas l’effrayer, il reste attiré par ce destin tragique qui fera de lui une légende de la musique. Ca commence par une tournée d’adieux à rallonge qui aurait des parfums de caprice. Fini la spontanéité, on est dans la démesure et le calcul, où même les larmes sont factices (« Je ferai pleurer mes yeux »). Il n’y plus que le show qui compte, les apparences, les paillettes… Se prostituer pour la postérité ! Pour contrer la déchéance physique, il s’invente une nouvelle image, celle de l’artiste maudit. Il n’est plus aussi bon qu’avant, et vous savez quoi ? Il n’en a rien à branler ! Il emmerde tout le monde, méprise ce public qui l’a soutenu, a bâti sa réputation. Le rythme de la chanson s’accélère, les claviers prennent plus d’emphase, la voix aussi, et c’est la débandade. « Les nouvelles de l’école diront que j’suis pédé / Que mes yeux puent l’alcool, que j’ferais bien d’arrêter / Brûleront mon auréole / Saliront mon passé… ». Lui qui voulait « violer » ses camarades de classe, subirait une sorte de retour de flamme, la revanche des vierges effarouchées ; s’il avait réussi à tromper les minettes à l’époque, à présent, elles ne sont plus aussi impressionnables. Ca devient profond, dramatique : Henri, il nous fait plus marrer du tout. Il sait même qu’il n’y survivra pas, le chemin est tracé, la mort est inéluctable. Non sans avoir, au préalable, tenté de confesser ses erreurs, de se tourner vers Dieu, misérablement, sans aucune conviction. Puis la dernière phrase tonne, douloureusement : « J’veux mourir malheureux ». On a beau savoir que tout ça, ce n’est qu’un fantasme, la fin a l’air un peu trop réelle, lourde de sens : trop de conviction dans la voix, on attend le cri, on sent la blessure, la détresse immense du gamin mal-aimé. Bref, « Le chanteur » est un titre très bien écrit, entraînant malgré son sujet désolant, mélange de peinture cynique du star-system (pas si éloignée, je pense, de la réalité) et de mise en lumière de la blessure narcissique qui frappe un jour sans prévenir, et pourrait faire d’un lycéen ingrat, de vous, de moi, de n’importe qui, une personne forte, ou un ange déchu.
Psychedeclic
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le 24 août 2012

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Psychedeclic

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robindestoits
9

Critique de Le Chanteur par robindestoits

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