MELINA MERCOURI : "Où que me porte mon voyage, la Grèce me blesse" (poème de GEORGES SEFERIS) :
"A Pilion, parmi les oliviers, la tunique du centaure
Glissant parmi les feuilles a entouré mon corps
Et la mer me suivait pendant que je marchais
Où que me porte mon voyage, la Grèce me blesse
A Santorin en frôlant les îles englouties
En écoutant jouer une flûte parmi les pierres ponces
Ma main fut clouée à la crête d'une vague
Par une flèche subitement jaillie des confins d'une jeunesse disparue
Où que me porte mon voyage, la Grèce me blesse
A Mycènes, j'ai soulevé les grandes pierres
et les trésors des Atrides
J'ai dormi à leurs côtés à l'hôtel de "La Belle Hélène"
Ils ne disparurent qu'à l'aube lorsque chanta Cassandre
Un coq suspendu à sa gorge noire
Où que me porte mon voyage, la Grèce me blesse
A Spetsai, à Poros et à Mykonos
les Barcaroles m'ont soulevé le cœur
Où que me porte mon voyage, la Grèce me blesse
Que veulent donc ceux qui se croient à Athènes ou au Pirée
l'un vient de Salamine et demande à l'autre
si il "ne viendrait pas de la place Omonia"
"Non, je viens de la place Syntagma" répond-il satisfait
"J'ai rencontré Yannis et il m'a payé une glace"
Pendant ce temps la Grèce voyage et nous n'en savons rien,
nous ne savons pas que, tous, nous sommes marins sans emploi
et nous ne savons pas combien le port est amer
quand tous les bateaux sont partis
Où que me porte mon voyage, la Grèce me blesse
Drôles de gens, ils se croient en Attique et ne sont nulle part
ils achètent des dragées pour se marier et il se font photographier
l'homme que j'ai vu aujourd'hui assis devant un fond de pigeons et de fleurs
laissait la main du vieux photographe lui lisser les rides creusées
de son visage par les oiseaux du ciel
Où que me porte mon voyage, la Grèce me blesse
Pendant ce temps, la Grèce voyage, voyage toujours
Et si la mer Égée se fleurit de cadavres
ce sont les corps de ceux qui voulurent rattraper à la nage
le grand navire
Où que me porte mon voyage, la Grèce me blesse
Le Pirée s'obscurcit
les bateaux sifflent, ils sifflent sans arrêt
mais sur le quai nul cabestan ne bouge
Nulle chaine mouillée n'a scintillé dans l'ultime éclat
du soleil qui décline
Où que me porte mon voyage, la Grèce me blesse
Rideaux de montagnes, archipels, granites dénudés
le bateau qui s'avance s'appelle
Agonie ..."