( juste deux mots en passant )


On pense tout de suite à la façon très extrême qu'a Joplin de réinventer Summertime:

c'est vrai qu'elle déstructure la chanson, arrache les morceaux et recompose un truc ahurissant avec ces lambeaux d'émotion;

C'est vrai que sa façon d'attaquer, gorge serrée, presque dépourvue de musicalité, sidère : à priori rien à voir avec les précédentes versions, toutes ces immenses voix qui pourtant avaient marqué leur empreinte sur la chanson.

On sait comment ça enfle, comment le chant de Joplin semble voler dans tous les sens, oiseau affolé cherchant une issue vers le ciel, au risque de finir dans le décor, et comment, après nous avoir ahuris, elle regroupe, ramasse et redonne aux débris du classique une forme unique, si personnelle, qui en ferait un nouveau standard s'il était envisageable pour qui que ce soit d'emprunter sa voie - à défaut de sa voix.


Alors, plutôt qu'un nouveau standard, peut-être un jalon - un témoignage au sens religieux de ces églises ou soudain un quidam ( ou une qui-dame ? ) prend la parole et témoigne devant tous de sa réaction aux duretés du monde; oui, le chant de Janis la sans-religion-fixe est complètement religieux, si la religion peut surgir du ventre.


Mais, à côté de son approche vocale complètement unique, complètement en rupture avec les versions précédentes de Summertime, il y a, avant même sa voix:


quelques notes aigrelettes, obstinées, presque horripilantes.


Elles sont très importantes : elles préparent l'arrivée du chant;


elles ne correspondent à rien qui ait été fait auparavant pour l'accompagnement de Summertime :

dans l'original et la plupart des interprétations qui ont suivi, on avait à cet endroit un orchestre jazz jouant un ensemble assez plein, assez lourd, assez rond, très entre-soi, avec de nombreux instruments, comme si on poussait la porte d'un cabaret où joue déjà un orchestre en fond de salle;

et la voix de la chanteuse, quelle qu'elle soit, devait faire sa place plus ou moins bien là-dedans;


La version de Joplin et Big Brother & The Holding Company décape tout ça radicalement :

Table rase !

A la place :

une ligne de guitare très simple, presque enfantine, totalement justifiée ( depuis toujours, la chanson est une berceuse fredonnée par une nounou qui tente de rassurer un enfant dans un contexte troublé, et NOUS sommes cet enfant )

un chapelet maigre de notes espacées comme celles d'une boite à musique, terriblement efficace qui, A LA FOIS est une berceuse, et A LA FOIS un avertissement stressant, inquiétant, qui joue avec nos nerfs et prépare à l'éveil de la voix serrée de Joplin.


Cette innovation, cette mise à nu, à l'os, cet accompagnement où les cordes de la guitare finissent par sonner comme des tendons à vif trempés dans l'acide, est A LA FOIS une trahison de la tradition de ce standard, et une résurrection de son sens profond

- au plus près du coeur.

moranc
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes les joplin à emmener sur une île déserte et tous mes morceaux à 10

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le 18 oct. 2025

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moranc

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