Après 25 années de rap "grand public" en France, le constat est alarmant. Les groupes tels que NTM et IAM ont laissé la place à une ribambelle d'artistes "américanisés". Le rap est devenu une industrie où des millionnaires se font passer pour des enfants en primaire, avec des clash 100% ciblés publicité. Le rap grand public est un gâteau séparé en quatre morceaux : La Fouine, Booba, Rohff et Maitre Gims (qui n'existe que par Sexion d'Assaut). J'extrais dores-et-déjà Booba du consensus : Je suis persuadé que c'est un génie incompris, (ses paroles autotunées sont pour le francophone moyen totalement incompréhensibles). Ensuite j'enlève Maitre Gims qui est "rien, un moins que rien" pour le citer : les catastrophes que sont Bella et Game Over (feat. Vita) où il se sent investi de rendre des hommage en verlan raté à Brel ne proposent en plus rien de très croustillant à analyser, décortiquer. Je mets sur le côté La Fouine et son alter-égo Laouni qui ont donné naissance à l'album pathétique que l'on connait, qui fait dans le n'importe quoi mais avec beaucoup moins d'autorité et de classe que B2oba. Il reste Rohff, qui propose le plus de chansons sérieuses: c'est à dire intelligibles, sèches et qui ont pour prétention de dépeindre une réalité. Les 4 rappeurs suscités forment le paysage du rap français et transmettent des valeurs à des millions(!) de français. Vous cherchiez les nouveaux sophistes? Les voici, mais ceux-là n'ont pas inventé les mathématiques.
Je vais donc m'en prendre à la chanson "Zlatana" : titre racoleur, néologisme raté et surtout dernier "gros son" de Rohff, qui taille dans la dentelle une image de la femme, certes : mais au hachoir! La chanson se découpe en 3 couplets, narrant trois histoires différentes composées trois femmes différentes. C'est tout vu, ces femmes sont des "sheitana" (diablesses) et des "Zlatanas". Ce néologisme de qualité discutable est supporté par la métaphore des coups "ailes de pigeon" tirés par Zlatan et le fait qu'une Zlatana fait des coups durs à des pigeons.
En Europe occidentale, (et particulièrement depuis l'époque dite des "Lumières"), la femme prend un statut de plus en plus "important". Depuis 1945 elles possèdent le droit de vote, puis le droit d'obtenir un compte en banque personnel, les progrès médicaux et sociaux ont permis la propagation de moyens de contraceptions post-relationnels. En bref, le statut de la femme s'achemine doucement, lentement vers le statut de... l'homme. Hélas! Nous sommes toujours dans une société patriarcale, et les liberticides nous l'ont bien fait comprendre lors de leurs protestations contre le mariage homosexuel. Être un femme en France, ce n'est pas encore ça : salaire amputé au nom du risque de "congé maternel", parfois même de cliché sur une productivité moins importante (même dans les domaines intellectuels!). En bref, l'homme dispose toujours d'avantages conséquents et d'acquis et la femme doit encore et toujours se battre si elle veut voir les choses bouger. Là où nous pensons des évidences, bien de femmes ont du se bouger et faire pression. Rohff, bien que particulièrement client auprès de la gente féminine comme l'explicite ses chansons, n'est pas très, trop d'accord avec le progrès de son statut. Peut-être me répondra-t-il, à l'instar de Robin Thicker (Blurred Lines) : "Je ne suis pas machiste, j'ai une femme". Dans "Zlatana" on apprend que dès que la femme veut prendre des responsabilités, du "pouvoir" en quelque sorte, elle devient une "pute", une diablesse ou une... zlatana.
Dans la première histoire, une femme, dont le compagnon est un voyou minable qui est en tôle pour une chose inconnue dont elle n'est pas explicité comme responsable, ne se morfond pas : elle sort en boîte, parle avec d'autres hommes (incroyable!). Lorsque son compagnon l'apprend de ses amis qui la côtoient, alors qu'elle se rend au parloir pour le voir, il la gifle. Rohff ne condamne pas cet acte, c'est une banale restauration de l'autorité. La femme en question avait déjà payé un avocat avec l'argent (ou l'argent qu'elle avait en commun avec?) son amant, ne tiens plus : elle se barre chez sa mère et dépense une partie de l'argent. "T'hésite entre la tuer ou la baiser une dernière fois, j'avoue elle est bonne" analyse Rohff. Sexe et violence, quand la femme ne se tient pas à son statut de femme, c'est tout ce qu'elle mérite... Morale de l'histoire n°1 : Ton amant est un taulard minable qui te bats ? Reste bien sage et surtout reste fidèle. La soumission, une belle valeur.
La seconde histoire raconte la vie d'un pote décédé de Rohff. Un petit caïd aux valeurs douteuses qui se présente comme un gros dur avec un petit empire de drogue. Portrait du loser complet, qui va se faire embobiner par une femme. Et là, encore une fois, quand l'homme embobine y a pas tellement de soucis, mais si c'est une femme, quel monstre! Il s'avère qu'en fait la nana fait partie d'un gang qui l'emploie pour étendre son empire territorial et monétaire. Soit, mais pas de problème pour le gang, puisque c'est la femme qui est responsable de tout, elle seule écope des insultes. On ne connait rien de sa vie, de son vécu : niet. Le pote de Rohff se fait descendre et Rohff percute un chevreuil. Moral de l'histoire n°2 : Tu es un loser prétentieux qui se la raconte et tu te fais plumer ? Cherche pas, c'est la faute de la femme.
La troisième histoire est la plus nulle de toute. On revenais plus haut sur les progrès du statut de la femme au cours des dernières années, notamment celui de pouvoir disposer de son corps et être maîtresse de sa propre sexualité. Le diktat de la préservation de l"'hymen", l'abstinence jusqu'au mariage sont des valeurs qui ne font plus office maintenant en occident, elles ne peuvent constituer une annulation du contrat de mariage par exemple. L'homme, disposé et autrefois même encouragé à pratiquer avant le mariage dans les hautes familles, en toute impunité, se voit talonner par le femme (qui peut même se faire recoudre lorsqu'elle tombe sur des arriérés). Et ça, c'est tout simplement insupportable pour Rohff : une femme libre avec une sexualité épanouie semble répondre en fat au nom de "pute". J'avais zappé l'effrayant jeux de mot (parce qu'il est nul) Puntacarna, la pute t'as car-na. Décidément Rohff a un problème avec les femmes : elles n'ont absolument pas le droit de se jouer de leur mari, tout est blanc ou noir : parfaite déesse ou réelle salope. Le constat est donc qu'après s'être marié, la femme s'empare de toutes les richesse de l'homme qu'elle dépouille. Morale de l'histoire n°3 : Si elle n'est pas vierge avant le mariage, et qu'elle te ment la dessus, ce n'est pas par peur, non, c'est qu'elle veut vider ton compte en banque.
On l'aura compris, les femmes sont globalement infidèles, vicieuses, égoïstes, manipulatrices et même parfois meurtrières. Très bien Rohff. On fait comme ça. Mais maintenant j'aimerais interroger la notion suivante :
On se rend compte dans Zlatana les femmes ne sont pas passives : elles sont actrices face à des hommes qui sont faible, lâches (profitent de leur prédominance physique) et assez peu malins. Tu reprocherais donc en fait aux forts de profiter des faibles? Non. Tu reproches aux femmes fortes de profiter des hommes faibles. Et pire, dans une société où les violences (harcèlements, viols, coups) sont distribués à 99% par les hommes, tu tentes de le justifier en montrant des femmes diaboliques, qui mériteraient d'aller en enfer? Mieux que ça : ton single se diffuse à une population massive, qui plongée dans cet univers où le culte de la violence et de la domestication de la femme deviennent des éléments banals et nourrissent des préjugés de millier de jeunes. Mais c'est donc toi Zlatana, qui produit des chansons affreuses mal fignolées et fait casquer des jeunes pour se payer des idées en cartons-pâte qui entretiennent le machisme. Je n'ai même pas parlé de l'introduction à ce titre, où, rieur, tu te moques, avec la voix du mec qui se la joue, des différents types de femmes que tu construit toi même. Mais toutes ces filles qui se tartinent de fond de teint, de blush et se fond des bronzage et du monoï à qui veulent-elles bien ressembler? Ah, je crois que je sais. Aux filles que tu présente dans tes clips.