Breaking Bad
8.6
Breaking Bad

Série AMC (2008)

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Et voilà, c’est fini.
Après m’avoir tenu en haleine près de trois ans durant (j’avais pris le train en route, quelques mois avant la diffusion U.S de la saison 4), Breaking Bad vient de s’achever.
L’occasion pour moi de faire découvrir cette série aux quelques personnes qui n’en auraient pas entendu parler mais aussi de donner envie à celles qui n’ont pas encore pris le temps de se jeter corps et âme dans ce show de malade mental.

Pour commencer, un mot sur cette seconde partie de 5ème saison qui clôture Breaking Bad. Est-elle à la hauteur des attentes ? Oui, 1000 fois oui. Rarement une fin de série n’avait autant suscité l’excitation et les pronostics des spectateurs quant au destin de Walter White, le personnage principal. « Il vit, mais va en prison », « Il meurt dans une fusillade », « Il survit, mais pas sa famille », « Il se suicide », « Tout le monde meurt ». A moins que « Walt ne rejoigne un groupe de protection de témoin après avoir balancé tout le monde, change de nom et fonde une famille : et Breaking Bad devient un préquel de Malcolm ! »
Dans cette dernière partie, les masques et les têtes tombent dans une ambiance violente et tendue à souhait. Les dialogues se font aussi lourds que les silences à travers des séquences plus posées qu’à l’habitude. Les scènes d’actions se font en effet assez rares si l’on excepte la fusillade de l’épisode 14, Ozymandias, que j’évoque à la fin de cette critique. Felina, le titre du dernier épisode (anagramme de « finale ») est composé des éléments chimiques suivants: Fe (fer), Li (lithium), et Na (sodium). Autrement dit, une combinaison de sang, de méthamphétamine et de larmes. Au même titre qu’Heisenberg (le pseudonyme utilisé par Walter White pour vendre sa drogue sur le marché), le créateur de la série Vince Giligan ne ment pas sur la marchandise.
On retrouve tous ces éléments dans ce final, qui conclut intelligemment les différentes destinées des personnages de la série. Et cela, avec une étonnante douceur. L’amour porté aux différents personnages y est palpable. Ce dernier épisode pleinement satisfaisant conclut tous les intrigues de la série et laisse un véritable sentiment d’achevé. Presque tout le monde termine là où il le devrait en ayant fait de qu’il avait à accomplir dans un épisode ultime rempli d’émotions. On pourra toujours pinailler sur le sort laissé en suspens de certains personnages comme Brock ou Huell mais rien qui ne puisse entacher le plaisir ressenti au moment du générique final. Breaking Bad aura donc su être magistrale, jusque dans sa conclusion, à l’inverse de Lost ou Dexter par exemple.

Je me suis lancé dans la difficile tâche de rendre compte du mieux possible des qualités de cette série remarquable qu’est Breaking Bad sans pour autant dévoiler son intrigue. Je dirai que l’une de ses premières est sa capacité à ne jamais faiblir dans l’intérêt des péripéties, dans l’écriture de ses personnages, l’inventivité et l’intensité de ses situations. Mieux que cela, je dirais même que c’est la seule série à s’améliorer au fil des saisons qu’il m’ait été donné de voir. Rien qu’à la fin de la saison 4 (qui est peut-être un peu lente à s’envoler), il a été dit que l’épisode final était si parfait qu’il aurait dû être le dernier. Heureusement pour nous, ce n’était pas le cas et le plus fou restait encore à venir…
Pour preuve de cette qualité graduelle, le nombre de fans et de spectateurs n’a cessé d’augmenter tout au long de la diffusion de la série. Les scores de Metacritic en attestent également: 74%, 85%, 89%, 96%… et désormais 99% de critiques positives pour la dernière saison. Oui, 99%. Soit le même taux de pureté que les cristaux préparés par Walter White. L’ingrédient principal de cette recette réussie étant l’histoire, un modèle de cohérence, parfaitement ficelée. Chaque action aura ses conséquences et chaque acte malveillant temporairement dissimulé finira par ressurgir, parfois plusieurs saisons plus loin. Afin de s’assurer cette qualité et intensité croissante, Vince Gilligan a eu l’intelligence de faire tenir l’intrigue sur un nombre relativement restreint de saisons. Et non de l’étirer jusqu’à épuisement du filon, au dépend de la qualité. How I Met Your Mother et Prison Break, si vous me regardez.
Sachant que dès les derniers épisodes de la première saison, les deux personnages principaux se retrouvent dans une situation tendue qui m’avait rappelé le délicieux stress ressenti devant la scène d’ouverture d’Inglorious Basterds. Rien que ça. Et je parle bien juste de la première saison. Par la suite s’enchaînent les cliffhangers, plus fous les uns que les autres au fur et à mesure que l’étau se resserre autour de la double vie de Walter White et tous les problèmes que cela implique. Mention spéciale à la moitié de la saison 5. Avoir dû attendre un an relevait tout bonnement de la torture.

Un mot sur les acteurs, en commençant par le principal. On se souvient presque tous de Bryan Cranston dans la peau de Hal, le père foutraque de Malcolm. D’ailleurs quand je parlais au début de Breaking Bad à mon entourage, c’était plus une série « avec le gars qui joue le père de Malcolm ». Mais ça, c’était avant. Un peu à la manière de David Duchovny qui a bien su amorcer sa reconversion avec Californication, passant de l’agent du FBI Fox Mulder à Hank Moody, l’écrivain alcoolique et accroc au sexe. Bryan Cranston est dorénavant autant présent dans l’esprit des gens comme étant le père de Malcolm que le prof de chimie reconverti de Breaking Bad. Je dirai même qu’il a trouvé dans cette série rien de moins que le rôle de sa vie. Le genre de performance qui lui permet d’étaler la palette de son jeu et de laisser exploser son talent à la face du monde. De prof ringard et pleutre, il mutera progressivement en génie du crime à la tête d’un empire de plusieurs millions de dollars qui aligne des répliques plus badass les unes que les autres (“Stay out of my territory.”, “I am the one who knocks.”, “I’m not in the meth business. I’m in the empire business.”, “Say my name.”,“Tread lightly”).
Ce rôle a donné un sérieux coup de pouce à sa carrière. Pour preuve, il a tourné 15 films entre 1995 et 2010. Et le même nombre de 2010 à 2013, soit sur une période 5 fois plus courte.
Aaron Paul, le second rôle principal, joue le très attachant Jesse Pinkman, l’ancien élève et associé de Walter White. Son personnage devait initialement mourir à la fin de la saison 1, mais Vince Gilligan était tellement impressionné par sa performance qu’il a changé d’avis. Et tant mieux. Ne serait-ce que pour le nombre de « Bitch » à côté duquel on serait passé.
Dean Norris est Hank Schrader, agent de la DEA redneck aux méthodes musclées (son nom sonne comme « shredder » qui signifie « destructeur » en anglais…) mais à la déduction et au jugement toujours très fins et perspicaces. Il est aussi le beau-frère de Walt, ce qui rend parfois compliqué l’exercice des activités illégales de l’ancien prof de chimie.
La femme de Walt, Skyler White, est incarnée par Anna Gunn, récemment récompensée d’un Emmy Award pour sa prestation. Selon elle « Skyler n’est pas conforme à l’archétype confortable de l’épouse conciliante, elle est devenue une sorte de test de Rorschach au sein de la société… ». Elle campe en effet une femme de poigne qui est un véritable faire-valoir de l’équilibre au sein du couple et de la famille White.
Voilà pour ceux que je considère comme les 4 personnages principaux. Il serait trop long de faire état de tous les autres. Mais en quelques mots, Bob Odenkirk campe Saul Goodman, un avocat véreux et très en verve souvent à l’origine de bon nombres des répliques les plus cocasses. Un spin-off sur son personnage a d’ailleurs été récemment officialisé. Betsy Brandt est Marie Schrader, l’épouse cleptomane d’Hank. Enfin, RJ Mitte est Walter White Jr, qui en dépit de son handicap ne fera jamais sombrer la série dans un pathos maladroit. Tous ces personnages sont extrêmement attachants.
Une fin de série est en général douloureuse et émouvante : on n’aime jamais quitter définitivement des personnages de fiction qui nous ont accompagnés des années durant. Mais pour Breaking Bad, j’ai ressenti une profonde tristesse à me séparer de la famille White et de son entourage. Un peu à la manière de Friends où l’on a l’impression de laisser derrière soi une bande de potes. Preuve encore une fois de la solidité de la série.

Ce qui distingue aussi la création de Vince Gilligan de bon nombre de séries américaines, c’est qu’elle s’affranchit de la simple opposition de bien et de mal dans lesquelles se retrouvent enfermées de trop nombreuses productions. Un changement bienvenue dans le paysage télévisuel quand on voit que même une série pourtant bien trash comme Californication (à base de sexe, drogue et rock’n’roll) rabâche souvent un discours bien-pensant à l’américaine. Ici, les actions de bons nombres de personnages sont souvent à la limite de la morale mais trouvent leur justification.
Walter White (pas aussi blanc que son nom laisse l’entendre) est un véritable modèle d’anti-héros au vu du nombre de meurtres et autres exactions qu’il commet. Pour autant, grâce à une écriture toute en finesse, le spectateur aura toujours de l’empathie pour lui et comprendra voire pardonnera certains actes odieux au premier abord. Là réside l’une des grandes forces de la série : son discours sophistiqué et dense ne permet pas de ranger ses personnages, terriblement humains, dans une seule case. Il est très difficile porter un jugement sur les horreurs qu’ils peuvent commettre. Dans plus d’une situation, le spectateur s’interrogera sur sa part d’ombre en se demandant de quelle manière il aurait agi dans pareille situation. La réponse ne sera pas toujours plaisante…

La série manie les genres avec brio en mélangeant habilement le drame, le thriller, l’action, ou encore le western pour ne citer qu’eux. Le dernier étant assez prédominant que ce soit à travers les magnifiques étendues désertiques, les affrontements/duels permanents entre les personnages ou encore le hold-up d’un train, tendu comme un string.
La réalisation de la série est extrêmement soignée et élégante. On est souvent bien plus proche de la qualité apportée à un film que d’une série. J’évoquais au début de cette critique l’avant-dernier film de Tarantino et il y a d’ailleurs dans Breaking Bad de nombreux échos aux situations et à la mise en scène de Pulp Fiction par exemple.
On retrouve également une belle inventivité dans la mise en scène. Que ce soit la caméra posée sur un objet en mouvement (un baril, un aspirateur robot, une pelle, etc.), le travail sur le cadrage, la lumière ou une pizza qui atterrit parfaitement sur le toit d’une maison, rien n’est laissé au hasard et tout rend magnifiquement bien à l’écran. Autre exemple de scène rarement vue sur le petit écran : un épisode s’ouvre sur un dialogue en plan-séquence de près de 5 minutes. Un dépassement de budget ? Pas de problème ! Arrive alors un épisode en huit-clos avec un nombre d’acteur restreint, « Fly » (saison 3, épisode 10) qui est aussi marquant qu’ingénieux. Ou comment transformer une apparente entrave au bon développement de la série en une force.
La photographie est vraiment hallucinante et rend très souvent justice à la beauté des paysages naturels du Nouveau-Mexique à travers des filtres orangés qui en magnifient les couleurs. En parlant de couleurs, j’ai remarqué qu’elles étaient très présentes à travers les personnages : Jesse Pinkman (Rose) ou Marie Shrader et son violet permanant. Mais également Gray (Gris) Matter Technologies Images, l’entreprise nommée d’après ses deux co-fondateurs Walter White (Blanc) et Elliott Schwartz (Noir en allemand). Ce même gris de la frontière morale entre le bien (le blanc) et le mal (le noir) dans laquelle notre cher Walter se plait tant à évoluer. Pour Jesse et Walter, on peut aussi voir un clin-d’œil aux personnages de Mr. Pink and Mr. White issus du film Reservoir Dog (encore ce Tarantino !). Quoi qu’il en soit, les personnages sont pour le coup littéralement haut-en-couleur. Un détail, mais qui est encore un exemple du soin global apporté à l’écriture.
Même le générique est bon : rapide, efficace, on ne perd pas de temps. Un peu à la manière de celui de Lost.
La musique dans Breaking Bad n’est pas en reste non plus. Elle est utilisée de manière originale (l’épisode 7 de la saison 2 s’ouvre avec un trio de guitaristes mexicains qui résument les épisodes précédents en chanson !!?!) et les morceaux sélectionnés pour accompagner l’action sont très variés. A Horse with no name, Shimmy Shimmy Ya, DLZ, Wordmule ou encore 1977 pour ne citer que ceux-ci. Quoi qu’il en soit, la musique n’est pas là pour appuyer lourdement les actions dramatiques ou comiques comme ça peut être le cas dans Desperate Housewives par exemple. Il n’est pas rare qu’elle prenne même l’action en contrepied ou qu’elle ait un côté très décalée par rapport à ce qui se déroule à l’écran. Parfois déroutant mais toujours réussi !

Vous vous en doutez, avec toutes les qualités que je viens de citer, la série de Vince Gilligan ne pouvait être que multi récompensée. Auréolée d’une cinquantaine de prix, elle a même remporté l’Emmy Awards de la meilleure série dramatique la semaine dernière laissant sur le carreau House of Cards, Homeland ou encore Game of Thrones, excusez du peu. George R.R Martin, l’auteur de cette dernière l’avait d’ailleurs prédit «Il n’y a aucune chance pour que Breaking Bad ne remporte pas l’Emmy cette année.»
La série a atteint son climax lors de l’épisode 14 de la saison 5 (équivalent peu ou prou à l’épisode 9 de la saison 3 de Game of Thrones), le genre d’épisode qui nous laisse sonné avec un goût de sang et de rouille dans la bouche. Il se fend actuellement d’une moyenne de 10/10 sur Imdb pour plus de 33 000 votes. Le maitre de l’heroïc fantasy George R.R Martin, est des grands fan de cet épisode, compte d’ailleurs s’en inspirer en déclarant «Walter White est plus monstrueux que n’importe qui à Westeros (le monde de Game of Thrones). Il faut que j’y remédie.» Dernièrement, la série a également rejoint le Guiness Book des records avec son score quasi parfait sur Metacritic. Nul doute qu’on entendra de nouveau parler de la série lors des Emmy Awards 2014…

Breaking Bad est une série qui a vu croître sa qualité au fil des saisons, maintenir une intrigue intense et parfaitement ficelée, voir évoluer des personnages charismatiques à la psychologie approfondie et cohérente dans des situations variées et bien pensées. Elle a même su offrir une conclusion vraiment satisfaisante. C'est aussi la meilleure série de ces 10 dernières années, l’une des plus grandes de l’histoire de la télévision. Allez, je l’ose : Breaking Bad est la plus grande série de la télévision.

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le 30 sept. 2013

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