Saison 1 :
Il me semble avoir lu quelque part que "Broadchurch" était né du désir de reproduire dans un microcosme anglais les principes qui avaient engendré le succès "artistique" de "The Killing". Si ce n'est pas le cas, ça y ressemble bien : flic obsessionnel, voire dysfonctionnel, importance démesurée de l'ambiance géographique / climatique, description minutieuse de l'impact du crime et de l'enquête sur la vie quotidienne d'une famille, ramification de l'intrigue en fausse pistes épuisantes, tout y est. Ne manque donc ici que l'aspect politique de la série "mère" danoise, remplacé par une critique des média anglais pertinente mais pas toujours fine fine... Et la recette fonctionne, grâce au savoir faire anglais que l'on connaît bien, et la saison 1 de "Broadchurch" rejoindrait le club restreint des grandes réussites du genre... si ce n'était quelques faiblesses qui refroidissent notre enthousiasme : le ressassement un peu "démagogique "de l'obsession pédophile de nos sociétés, un certain nombre de passages à vide où ni le scénario ni l'application à construire "l'atmosphère" ne suffisent à nourrir l'intérêt, et surtout le manque d'empathie que l'on ressent vis à vis de l'inspecteur Alec Hardy (ce n'est pas tous les jours que naît un personnage de la densité de Sara Lund !), chargé par l'interprétation discutable de David Tennant. Si deviner le coupable est ici un exercice assez aisé (c'est, évidemment, le personnage que l'on soupçonnerait a priori le moins !), le dernier épisode, consacré à la description de l'impact de la "résolution" de l'énigme sur les proches - de la victime, du criminel - est une franche réussite qui balaie pas mal de nos réserves. Reste à savoir si une seconde saison était nécessaire... [Critique écrite en 2015]
Saison 2 :
J'ai un peu traîné les pieds avant de me lancer dans la seconde saison de "Broadchurch", une série qui ne semblait absolument pas en avoir besoin - d'une deuxième saison, je veux dire... Quelle ne fut pas ma surprise devant cette complète réussite, qui part pourtant d'un postulat risqué, celui de revisiter la même enquête du point de vue cette fois de la "justice", ou plutôt des avocats et du juge (sans parler du jury) appelés à condamner ou non le coupable certain que "Broadchurch" nous avait désigné à la fin de la première saison : le résultat est une intrigue que l'on qualifiera plus de "psychologique" que de "policière", étant donnés les dégâts que ce processus cause aux protagonistes que nous avons appris à aimer ou à haïr. Les scénaristes réussissent néanmoins un coup de maître, d'abord en introduisant deux personnages d'avocates passionnants (dont l'un incarné divinement par la magnifique Charlotte Rampling qui justifie presque à elle seule l'existence de la saison), puis en effectuant un retour trépidant sur la calamiteuse enquête précédente de l'Inspecteur Hardy. L'intelligence de cette saison de "Broadchurch", c'est de nous montrer que dans les deux cas (les deux crimes, les deux enquêtes), rien ne change vraiment, mais tout est quand même différent suivant le point de vue d'où l'on se place. Et que la vérité est finalement moins importante que la vie, qui doit continuer, coûte que coûte. Avec un nouvel enfant, avec un nouvel amour, ou bien seulement avec un nouveau pacemaker. Et c'est très beau. Presque magnifique même par instants, tant les images d'un littoral anglais à la fois paisible et menaçant offrent un cadre idéal aux drames intimes qui se sont joués sous nos yeux... [Critique écrite en 2017]
Saison 3 :
Et l'inévitable se produit : voilà la troisième saison qui sera la saison en trop et gâchera le joli tableau des deux premières. Oh, elle commence bien, cette troisième saison, avec une nouvelle enquête, de nouveaux personnages, et un sujet fort (les violences faites aux femmes)... même si on ne comprend pas très bien comment notre duo d'enquêteurs a pu se reformer. Et puis peu à peu, on s'ennuie, parce que ces deux personnages centraux ont perdu leur substance, que les acteurs n'arrivent plus à les défendre (David Tennant, en roue libre, fait n'importe quoi !), qu'ils finissent par nous irriter. Parce que "Broadchurch" multiplie artificiellement les fausses pistes dans sa dernière partie jusqu'à nous perdre et nous laisser avec une résolution forcément décevante (ignorant qui plus est l'un des sujets les plus forts de la saison, celui de la contamination des jeunes esprits par la pornographie d'Internet). Le dernier plan, faussement culotté et vraiment j'menfoutiste est alors le dernier clou enfoncé dans le cercueil de "Broadchurch". R.I.P. [Critique écrite en 2017]