D&CO
3.4
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Émission TV M6 (2006)

Par un triste dimanche de novembre, tranquillement affalé sur mon vieux sofa prétendument blanc, je regardais une quelconque niaiserie bas du front sur mon téléviseur.
Je terminais nonchalamment un reste de pizza au chorizo en me sifflant un petit cubi de Rosé du Languedoc, qui sans être franchement bon était franchement alcoolisé.
Je m'abandonnais paisiblement à l'ivresse et à la bêtise télévisuelle en piquant irrémédiablement du zen.
J'étais bien en quelque sorte.


C'est à ce moment-là que l'on tambourinât violemment à ma porte.
Surpris, je tressaillis et renversais mon ballon de rosé sur mon caleçon "I Luv Alexis Texas". Je me levais ouvrir la porte passablement énervé et prêt à en découdre avec ces gêneurs qui ne respectaient pas mon oisiveté.
Tout à coup une lumière violente m' aveuglât. Derrière ce spot agressif je crus apercevoir une caméra et des gens juste à côté. Je discernais une silhouette massive et quelques mots aïgus qui vinrent frapper mon tympan: "Coucou mon gros Loulou ! C'est mignon tout plein ton taudis didonc !"
Oh putain ! La voix me disait quelque chose mais je ne parvenais pas à l'identifier.
C'est quand je vis des cheveux d'un jaune pétard et un 110 D débordant engoncé dans une salopette bleue que je compris le piège.


Je me jetais sur la porte pour tenter de la fermer au plus vite mais une chaussure de sécurité à talon haut vint s'intercaler aussitôt.
J'essayais de résister, de tenir bon pour qu'ils ne puissent pas entrer, mais la blonde à gros seins était beaucoup trop forte et la porte vola en éclats.
Ce fut la ruée.
Damidot et son équipe prirent possession des lieux en un instant.
Caméras, assistants et décorateurs investirent ma modeste demeure à la vitesse de la lumière. Je restais coi, hébété, avec mon verre de rosé dégoulinant à la main, tandis que l'équipe de M6 s'affairait à fouiner dans mes affaires et à jeter déjà quelques vieilleries par la fenêtre.


En effet une benne venait juste de se garer sous ma fenêtre et attendait de pied ferme mes effets personnels.
Valérie Damidot vint me demander en hurlant de sa voix aigre de balancer toutes les merdouilles qui jonchait le sol, histoire de ramasser un peu d'oseille et faire de mon superbe taudis une maison quelconque, une habitation qui sentait bon le patchouli, avec de jolis rideaux roses, bien propre et tout et tout.
Je rétorquais que mes vinyles des Who et des Clash n'étaient pas des merdouilles et que mon canapé défoncé et malodorant était surement le fabricant des plus belles siestes de la région. Valoche se mit à rire très fort tout en balançant Who's Next et Give 'em enough rope par la fenêtre, faisant signe à ses gorilles-bricoleurs de virer le sofa crade et balafré qui trônait fièrement dans mon salon.
J'essayais de m'interposer mais rien à faire, la bonhomie désarmante de Valoche et sa perceuse à percussions me dissuadèrent de tenter quoi que ce soit.


En un instant le vide fut fait. Mes posters de Gianna Michaels et d'Alexis Texas arrachés sans ménagement . Mes œuvres d'art comme l'affiche originale de "La clé" de Tinto Brass avec la bellissime Stefania Sandrelli ou mon intégrale des fellations de Brigitte Lahaie en cassettes vidéos aux orties, oubliés, comme un vulgaire disque d'Emmanuel Moire.
Tout y passait, c'était le grand ménage. En un instant la maison se retrouvait nue, sans âme.
Des espaces vides qui donnaient le tournis, des murs blancs oppressants qui me brûlaient les yeux.


"Tiens prends ça mon Choupinet. Allez au boulot, c'est l'heure de maroufler !!"
Valoche me mit un pinceau dans les mains et sortit un lé de tapisserie rose clair et un autre vert bouteille, qu'elle commença à placer sur le mur du salon. Je collais ces pans de tapisserie dégueulasses en riant bêtement aux clins d'oeil de Valoche, fasciné que j'étais par le décolleté monumental de la blonde rondelette, et terrorisé par l'agrafeuse murale qu'elle tenait contre ma tempe.
Je continuais de maroufler, la peur au ventre, sous la menace de Valoche et de ses assistants qui me regardaient d'un sale oeil tout en détruisant à coups de masse le mur entre mon salon et la cuisine en riant comme des déments.


Parlons-en du salon tiens ! Un tapis bleu ciel à poils long immense accueillait une table blanche laqué bardée de led multicolore où un vase mauve en forme de papillon trônait majestueusement.
La nausée me gagnait petit à petit pourtant je continuais les travaux: Un coup de pinceau Lila dans les toilettes où un abattant de fourrure rouge et une balayette couleur Or venaient égayer cette pièce tabou. Une réfection totale de ma chambre avec moquette orange sur les murs et lampes de chevet du plus mauvais goût où de petits anges de plâtre vert pomme montraient de leurs doigts boudinés l'ampoule longue durée dans un sourire Ribéryesque.


C'était un putain de carnage.
Damidot s'amusait à me peinturlurer le museau en riant aux éclats tandis que son équipe continuait son oeuvre de destruction et d'aseptisation décorative.
Des tableaux I Love New York en noir et blanc dans le salon remplaçait les sublimes doudounes de Gianna Michaels; des bambous et des Bouddhas dans la salle de bains succédaient à une affiche du Sacré Graal des Monty Python tandis que ma chambre était envahie d'étagères en contreplaqué où des bougies de toutes les couleurs et des cadres photos en forme de coeur venaient piquer la place d'un magnifique poster de Muddy Waters au festival de Newport de 1960.


Le calvaire semblait toucher à sa fin quand elle accrochât les lustres en faux diamants au plafond du salon et qu'elle allumât les dizaines de bougies dont l'odeur puissante de lavande me souleva l'estomac.
C'était l'heure de la visite. Les caméras nous suivaient pendant que nous faisions le tour de ma "Nouvelle" maison.
Je m’extasiais béatement devant tant de goût et de beauté. La gorge serrée, je poussais des "Aaah" et des "Oooh" admiratifs tandis que Valoche juste derrière moi, me tenant par l'épaule, pressait son pistolet à clous contre mes reins tout en souriant aux caméras.
Elle me baladait de force dans cette maison de poupée; m'ouvrant les portes de chaque pièce et découvrant à chaque fois une nouvelle horreur aux couleurs criardes et à la décoration monstrueuse. Son flingue dans le dos me poussait à surjouer l'ébahissement et le ravissement des sens.


La découverte de ma demeure au relooking approximatif achevée, je me jetais sur elle en la remerciant chaleureusement du bonheur qu'elle venait de me procurer.
Je l'étreignis et me mis à pleurer d 'émotion dans ses bras, à moins que ce ne soit mon testicule qu'elle pressait violemment de sa main droite qui fit couler mes larmes et non l'émotion. Je ne sais pas. Je ne sais plus.
Elle partit dans la soirée avec toute son équipe en me laissant un bordel terrifiant. Des dizaines de cadavres de bouteilles de Champagne jonchaient le sol au milieu de Curly émiettées et de mégots de clopes écrasés. Je fermais la porte derrière eux et m'assis par terre pour réfléchir.


Je regardais l'oeil las le désastre décoratif de Valoche et de ses artisans bagarreurs.
Du rose, du vert, des coussins orange, des tapis à poils long et des putain de bougies partout.
La maison de Secret Story ! Voilà ce qu'était devenue ma demeure.
Des miroirs fantaisies et des bibelots ringards ornaient dorénavant ma vieille bicoque.
La tête dans les mains et les yeux embués, j'étais abattu, perdu dans cette maison inconnue. Soudain l'idée ! L'idée de génie !!
Je décrochais mon téléphone à la vitesse de l'éclair et le coeur rempli d'espoir. Tremblant, je composai le numéro.
Tût...Tût...Tût...Ça sonne !
Une voix douce et suave m'accueillit: "Groupe M6 Bonjour. En quoi puis-je vous aider ?"
C'était ma chance. Enfin !
"Allô M6 ?! Ouais passez moi l'aut' con de Stephane Plaza et fissa, j'ai une putain de maison à vendre."


J'avais trouvé ma solution.


Illustration illustrative by Richard Grayson

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le 1 oct. 2015

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Ze Big Nowhere

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