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Une série de droite bien dans son temps

Il aura fallu huit saisons pour connaître le périple de Dexter dans son ensemble.
Huit saisons au cours desquelles le spectateur a fait connaissance en profondeur avec un personnage, anti héros, trouble et immoral, un personnage incarnant le plus dignement, pour ses créateurs, le reflet de la société du XXIe siècle.

Dexter est un meurtrier, mais un meurtrier avec un code de bonne conduite, un manuel justifiant ses actes et son comportement. Un homme en apparence normale, mais qui tue pour survivre. Non pas parce qu’il est menacé, mais parce que c’est dans sa nature, comme un besoin, le dark passenger. Dexter est un homme qui tue parce qu’il en a besoin, cette donnée, socle de la série, est consubstantielle à sa personne.

Dexter est un personnage qui se cherche. Un homme seul bien qu’entouré d’une famille qui l’aime, de collègues respectueux et d’amis plus ou moins proches. Il est également et surtout surveillé par l’ombre de feu son père, créateur du code, ce conditionnement supposé assurer à Dexter de ne jamais se faire prendre.

Et c’est de cette façon que l’on suit ce héros victime d’anhédonie et d’ataraxie (une absence de sentiments positifs et une absence de trouble) au fil des saisons, au fil de son évolution. Dexter se présente, Dexter se défend, Dexter se fait des amis, Dexter trouve une femme et fonde une famille, Dexter souffre de ses premiers émois, Dexter s’affirme comme un homme, Dexter découvre l’amour et les sentiments, et enfin, Dexter subit la fin de sa série.

Six saisons étaient prévues. Dexter en a pris pour deux ans de plus. Deux ans qui n’ont pas servi à grand chose si ce n’est rallonger un café, lui faisant au passage perdre un peu de son goût. Ce goût si caractéristique de la transgression.

Mais s’il faut parle de transgression, il ne faut pas, pour Dexter, se contenter de pointer du doigt l’attachement du spectateur en direction de cet homme amoral, immoral, assassin de sang froid — oui mais seulement de meurtriers avérés, de gens qui « méritaient de mourir », merci — et homme de coeur et de principes. Cette transgression, qui sert à justifier toutes les autres, est surtout un prétexte pour véhiculer un message politique et se planquer parce qu’au fond, les auteurs ont perdu en route le courage qu’ils ont donné à leur avatar.

Dès le début, Dexter incarne le justicier capable de rendre la Justice, celle avec un grand J, celle que le barreau et les tribunaux et la police sont incapables d’administrer. Dexter est un sauveur qui tue ceux qui ne méritent pas de vivre. On dirait la description du présentateur du JT de la Fox. Mais non, Dexter est bien, au début, la représentation de Jésus redescendu sur terre pour nous sauver tous. C’est d’ailleurs comme ça qu’il est dépeint. Comme ça et puis aussi, pour trouver une assise scénaristique, on va piocher dans le passé les raisons d’un tel comportement. Si Spinoza disait qu’on se croit libre parce qu’on ignore les causes qui nous déterminent, Dexter, lui apprend et accepte celles qui l’ont fait, sans se poser d’autres questions. Le sang appelle le sang. Toute la famille est comme ça, on ne change pas vraiment.

Et puis Dexter évolue. Il rencontre des gens insupportables qui excitent ses sens et l’éveillent à la vie. Il simule à la perfection les émotions et l’attitude sociable des gens normaux. Tel un gentleman, il est accepté par tout un tas de gens qui ne le connaissent pas mais qui voient en lui une victime. Lui comme sa soeur d’ailleurs, la pauvre femme qui se veut forte et belle, mais qui n’est qu’anorexique et capable d’une seule et unique expression. Pendant huit saisons. Colère, tristesse insondable, et les deux mélangés composent l’essentiel d’un personnage, que seules quelques phases, temporaires et courtes d’allégresse et de joie mal dirigées viennent ponctuer.

Un fois la peine de mort bien acceptée par le spectateur, une fois la mort d’innocents justifiée, ou vengée, il a fallu donner un peu de consistance à un type qui en manquait cruellement. Alliant une intelligence sans limite et une prudence à l’avenant, quelques tares incompréhensibles le poussent pourtant à adopter des attitudes idiotes qui le mettront inévitablement dans l’embarras, voire dans une merde sans nom.

La série trouve toutefois un rythme sur les saisons trois et quatre, alliant une mise en scène et des personnages fous mais à peu près cohérents, posant des questions qui ne trouveront pas de réponses évidentes, et osant des twists surprenants, voire scotchant. Le développement d’un thème sur chaque saison permet à Dexter de s’épaissir et de donner au spectateur des raisons de continuer, des enjeux auxquels se raccrocher, même si, il faut bien l’admettre, ces enjeux relèvent souvent des valeurs traditionnelles qu’une société chrétienne et archaïque entretient : les liens du sang, la famille, le travail, le devoir, les enfants, …

Le bât commence vraiment à blesser à partir de la saison cinq, dont les enjeux, pourtant inédits et intrigants, seront sabordés sans qu’on comprenne vraiment pourquoi par une pirouette. En fait, c’est à ce moment là que la décision de prolonger la série aura été prise, peu ou prou.

Une saison six inutile n’existera que pour justifier les deux suivantes. Et la finale, tissée à la corde par une grand mère arthritique, n’apportera rien qu’une profonde déception. Comme s’il fallait trouver un moyen dans la lignée de la série pour clore une épopée. Sans choisir, sans trancher, en taillant dans toutes les pistes jusqu’alors déployées, les auteurs achèvent Dexter de la pire des façons qui soit : une repompée honteuse de 24, une sortie de biais, usant de toutes les facilités scénaristiques possibles, brisant tous les arcs et tout le personnage de Dexter qu’ils avaient su, malgré les incohérences, bâtir et rendre à peu près crédible.

Dexter demeurera comme un ovni qui s’est institutionnalisé en même temps que les mentalités ont régressé, acceptant sans broncher que la Justice personnifiée, un meurtrier sauvage remplace les principes de la vie en société. Et ces mentalités, tout comme les autres, n’auront, dans la conclusion, ni satisfaction, ni véritable insatisfaction.
Juste la sensation clairement établie qu’on est allé trop loin et qu’on s’est bien foutu de nous. Tout ça pour ça.

Créée

le 1 nov. 2013

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hillson

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