Good Omens
7.1
Good Omens

Série Prime Video (2019)

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La puissance et la beauté du final autour de la pomme cueillie font de ce moment l'une des deux plus belles et satisfaisantes experiences intellectuelles de ma vie. Sincèrement.


Commençons par le commencement :


Good Omens est esthétiquement épuré mais pas moins stylisé et jolie. La bande originale très British est agreable et contribue à l'atmosphère propre au(x) lieu(x), aux thèmes, et aux personnages. La voix off apporte beaucoup à l'ambiance générale en plus de sa charge symbolique. Comme attendu les acteurs principaux sont exeptionnels. Le ton donné grace à l'humour dédramatise l'histoire (avec justesse selon moi) en plus d'adoucir le serieux du propos. Il faut enfin saluer les choix lourds politiquement concernant le genre attribué à Dieu et la couleur de peau d'Adam et Ève qui sont tres courageux.


L'une des deux qualités principales de Good Omens, mais qui est aussi son défaut (ici l'hypertextualité est d'autant plus savoureuse qu'elle est involontaire), c'est l'ultra-richesse-ultra-condensee du nombre de sujet abordés et de leurs declinaisons. Quasiment chaque repliques ou situations a un sens précis. Ce niveau de precision est d'ailleurs admirable.
Le travail d'ecriture est vraiment colossal. Pour aborder autant de choses en seulement six episodes avec une structure aussi solide et un deroulement aussi fluide ils n'y ont sans doute pas consacré que sept jours... La densité du propos est telle qu'il est impossible de toujours tout décemment develloper. Des points du discours en pâtissent sans doute. La contrainte du format se ressent et c'est regrettable. Mais en même temps la serie ne semble pas prétendre à l'exhaustivité et veut bien plus provoquer notre reflexion que nous mâcher le travaille. Ce qu'elle reussit à merveille !


Effectivement elle remplit la mission qu'elle s'est donné par son sens profond de la pédagogie. Good Omens suscite notre intérêt et nous invite vraiment à réfléchir. C'est magistral.
Pour moi si la série est à ce point efficace pour ça c'est :



  • D'abord grâce à la superposition des niveaux de lecture : le premier niveau de lecture est dénué de portée et tout peut se resumer à une histoire de plus, mais attractive, sur l'Apocalypse. Ouvrant ainsi les bras de la série à un publique plus jeune. Le second niveau de lecture consiste à exposer une reflexion purement philosophique du début à la fin. Cet exposé est lui-meme à double niveau : l'un pour s'adresser aux athées et l'autres aux croyants.
    Et il ne s'agit pas de faire dans de la masturbation intellectuelle puisque le discours peut être une sorte de grille d'analyse applicable à la situation réelle et actuelle de notre monde. Bref ni le propos ni la démarche ne sont purement abstraits.


  • Ensuite parce que Good omens est consuelle et bienveillant envers nous. Cette série peut toucher tout le monde, que l'on soit croyant ou non. Le point de vu athée reste prépondérant même s'il n'est pas revendiqué explicitement (l'acte en soi de creation est bien plus significatif). Il est contenu, jamais frontal, à l'image des piques sur le "fait religieux" qui sont lâchées çà et là (episode 3 : l'arche de noé*, etc.) Tout cela sans jamais chercher à débattre de l'existence ou non de dieu.


  • Enfin par la forme générale qui joue beaucoup. Elle purifie le fond de ce qui pourrait être rédhibitoire pour n'importe qui. L'aspect ludique créé par le medium en soi, le genre et le ton est au contraire assez rafraichissant.



Le thème principal de la morale demeure evidemment le plus present. On le traite sous le prisme de la politique, de la theorie de l'action, on adopte alternativement une conception existentialiste et essentialiste de l'Homme etc. Il est également question du concept de l'utilitarisme dont le traitement est plutôt dominant (et plus "subtile" qu'avec la discussion sur la moralite ou non de sacrifier une vie pour sauver tout l'univers). C'est même sans doute ce que l'on voit le plus quand on montre la porosité qu'il y a entre le Bien et le Mal de facon aussi récurrente à travers les allegories qu'incarnent, entre autre, les deux protagonistes principaux. Ici subtiles, les relations et interférences entre l'un et l'autre sont d'ailleurs parfois illustrées grossièrement par commodités. Ça n'est pas genant pour autant.


Enfin on y parle aussi de hasard, de destinée. De déterminisme et de libre-arbitre. On prend position sur l'homophobie au sein de la Religion.
On touche même aux sujets de l'éducation, du libiralisme economique et de politique avec son jeu incessant de rapports de force. On introduit certains sujets comme le feminisme et on effleure des sujets comme les moeurs (l'episode 2 avec la sorciere et le bûcher) et caetera.


Le tout est abordés sous couvert de la Religion. On pourrait croire que la série ne parle que d'elle ou de Dieu. Que c'est sa raison d'étre. Ce n'est pas le cas. Il s'agit aussi d'un simple angle d'attaque.


Dans sa démarche Good Omens est en permanence en équilibre mais parvient systématiquement à eviter la chute. Faire de la série un manifeste politique ou théologique était un écueils presque imparable au regard des sujets mobilisées. Et comme je l'ai dit ils sont très nombreux...


L'un des merites louable de la série est donc veritablement de ne pas prendre parti ni d'émettre de jugement. En tout cas elle ne le revendiquera jamais, quelle que soit la situation. Ainsi meme cette scène dans l'episode finale où il est prophétisé une ultime guerre qui opposera l'humanité à Dieu lui-même est suffisamment habile et bienveillante dans la forme pour pouvoir aussi s'adresser aux croyants. Seulement à ce stade du discours et de son développement, il s'agit en fait, malgré la forme, d'un message spécifiquement antithéiste. Les auteurs restent tout même dans la mesure.


En fait le seul et unique parti pris évident et assumé concerne le pessimisme de la série avant sa conclusion. Ce choix ne merite d'autant pas de jugement qu'en plus de s'inscrire dans une démarche artistique il donne une direction dans le développement du discours dont la conclusion est pleine d'espoir.


Ainsi l'ascendant du Mal sur le Bien que l'on nous presente nous fait réfléchir sur la passivité et l'impuissance intrinsèque de ce Bien.


J'y ai vu là encore un double niveau de discours sur la Morale. L'un se veut relativiste, tandis que l'autre plutôt objectiviste. C'est la première conception qui a été privilégiée.
C'est celle en tout cas à laquelle je suis le plus sensible.


L'intransigeance dont a besoin le Bien, pour garantir sa propre intégrité et ne pas disparaître, est sa faiblesse. Contrairement au Mal, on nous le montre, son action est fatalement beaucoup plus mesurée. C'est ce que met en evidence cette guerre millénaire entre Dieu et Satan où il ne s'agit pas pour le premier d'éliminer son adversaire physiquement mais spirituellement. Or les deux camps ne se battent évidement pas à armes égales. Quand pour l'un tous les coups sont permis l'autre doit faire preuve de probité et d'exigence s'il ne veut par faillir par sa propre faute en se niant lui-même.
C'est cet état de nature qui donne tout son sens au leitmotiv de l'ange Gabriel quand il declare que pour gagner une guerre il faut d'abord la faire. Pour lui la fin justifie les moyens. Pour lui l'intransigeance du Bien n'est pas une fatalité et encore moins une nécessité. Or ça c'est une voie sur laquelle s'aventurer est risqué et beaucoup trop dangereuse etant donné que le bien-fondé de nos actes ne peut jamais être total. Meme sous l'angle objectiviste, les auteurs critique l'asboluite du Bien. Il n'est pas. De fait le danger c'est quand on croit fermement agir pour le Bien. Et on pense rarement le contraire.... Ce n'est pas parce qu'on est convaincu de la beauté de ses idées ou de sa cause qu'elles le sont vraiment et encore moins qu'elles le sont pour tous. Or cet aveuglement et la volonte, probablement bien intentionnée, de tout mettre en oeuvre pour un idéal qui au final n'est et ne sera jamais que le notre c'est l'apanage du fanatisme en religion ou du fascisme en politique. L'ange Gabriel est l'incarnation de ce fanatisme. Mais en même temps comment le lui reprocher etant donné que la religion est par nature l'énoncé comme vérité de ce qui est bien où de ce qui est mal ?


Cette série est un brulot sans concession contre le fanatisme. Mais elle va plus loin et à le courage de denoncer avec force la Religion (peu importe la confession) qui porte en elle, par nature, ce fanatisme dont il est question. Des lors que Morale et Dieu se confondent tout est permis pour le meilleur comme pour le pire. L'existence de Dieu n'est discuté à aucun moment.
Ce qui est discuté c'est le dogmatisme et l'arrogance dont font preuvres les hommes quand il s'agit du "Gran Plan" de Dieu. "L'ineffable Grand Plan"...


Good Omens prône en réponse par l'intermediaire d'Aziraphale assez tôt déjà dans la série avant d'être rejoint par Rampa à la fin, la liberté des Homme à faire des choix, à s'autodeterminer et a dépasser la morale obsolète que l'on a hérité des religions monothéistes. Par là on nous exalte aussi à ne pas rester de simples spectateurs et qu'il nous reste toujours la liberté de choisir le sens et les valeurs qui guident notre propre existence. On ne peut peut-être pas sauver le monde des hommes mais on peut d'abord changer notre "monde intime", se changer soi-même. Partant tout devient possible.


Good Omens ne délivre pas ces reflexions sous une forme brute. Toujours par soucis de bienveillance.
Les influences philosophiques semblent être nombreuses. Celle de Nietzsche se ressent le plus.
D'ailleurs la scène oû Rampa jette ses lunettes dans l'épisode 5 est une référence claire à cette fameuse phrase qu'on attribue à tort à Dostoïevski: "Si Dieu n'existe pas alors tout est permis" et qui a été une source d'inspirations pour ce philosophe.


On ne peut que clairement saluer la qualité de l'écriture à ma connaisance inégalée, pour une série. C'est pour moi le second point fort de Good Omens. Au point que contrairement à de grandes séries comme Game of thrones, le binge-watching n'a pas diminué mon intérêt pour elle d'un épisode à l'autre (aussi peu nombreux soient-ils). Ici pas besoin de créer de l'attente pour maximiser la hype.


En conclusion Good Omens a le mérite considerable de permettre à tous une reflexion riche et libre. L'atmosphère générale étant telle que rien ne fait obstacle à un revisionnage pour en saisir toutes les subtilités. Et elle donne très envie de lire l'oeuvre originale et de se gaver de philosophie sur ces sujets pour aller encore plus loin.


11/10 -1 pour le format donc... à moins que ce ne soit à cause du regret de ne ne pas avoir eu la chance de voir ce joyaux pendant mon adolescence, même si ça n'avait été pour en voler qu'une où deux idées :)


*La blague sur les licornes notamment c'est juste du génie humouristique à l'état pure !

Dirini_
10
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Créée

le 16 juil. 2019

Critique lue 320 fois

Dirini_

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