Les Revenants
6.7
Les Revenants

Série Canal+ (2012)

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Critique rédigée en deux fois, mise à jour à la fin de chaque saison.


Quelques invraisemblances externes (les gendarmes qui bossent en solo…), quelques pistes lancées par le scénario et jamais rattrapées (la cicatrice de Lena, la fouille du cimetière… — peut-être faudra-t-il attendre la deuxième saison) : ce sont les défauts inhérents à tout feuilleton, au même titre que ces acteurs qu’on ne supporte plus à force de voir leurs tics pendant six heures (mention spéciale au sous-Romain Duris — ce qui n’est pas peu dire — qui tient le rôle de Simon). Bon, et les prénoms des personnages ont quand même un côté Plus belle la vie, mais ça doit être l’effet « série française » ; « Jack », « Boone », voire « Gunther », c’est plus dépaysant.
La comparaison avec la série phare de la télévision publique s’arrêtera là, car les Revenants lorgne plutôt du côté de Twin Peaks ou de Lost, cela a déjà été dit. En guise d’île, — on n’en part pas en voiture, — le lac de Tignes ! Les Alpes ! patrie d’élection du docteur Romand, cadre bucolique de la tuerie de Chevaline : il y a du potentiel pour un feuilleton à mystères, et en plus les paysages y sont jolis. Et puis de nos jours, on peut s’appeler Claire, Serge ou Pierre et disposer d’un frigo américain. Quant à Mogwai, c’est un groupe écossais.
En fait, n’importe quelles deux secondes de n’importe quel épisode montreront que les Revenants est un ton au-dessus du tout-venant français : l’image est magnifique. Cela fera mal aux yeux des défenseurs d’AB Productions ; un brin d’herbe avec une photographie au point, c’est plus beau qu’une aurore boréale avec des contrastes mal réglés.
De l’autre côté de la caméra, c’est inégal. Certains acteurs font fort bien vivre des personnages casse-gueule (Julie, Serge, Toni et surtout Pierre…), certains sont bien mornes, peut-être parce que leur personnage a lui-même un registre limité (Simon, Jérôme, Thomas). Il y a aussi des personnages tellement forts (« Victor », Lucy) que les acteurs qui les jouent n’ont « plus qu’à » prendre leur rythme.
Puis le spoil s’abattra sur la suite de cette critique comme la vérole sur le bas clergé.
Ce feuilleton nous apprend qu’un revenant ne repart plus ; qu’il retrouve la vie réelle (mais sans le chien à promener, ni la poubelle à sortir, ni les impôts à payer) avec l’âge qu’il avait au moment de son départ ; qu’il consacre beaucoup de temps à se confectionner des sandwiches ; qu’il peut provoquer des suicides et croire aux fées. Ça change de la figure habituelle du zombie, malgré quelques concessions au fur et à mesure que la saison avance.
En guise de visiteurs d’outre-tombe, on a donc le « sympathique » Victor enfant sauvage, plutôt serrure que clé de l’énigme ; le plus inquiétant Serge, qui était déjà très affamé avant sa mort ; Camille, en vague crise d’adolescence à retardement, par la force des choses ; le jeune vieux-beau Simon… Évidemment, tous ceux-là fonctionnent sur des schémas éprouvés (le Village des damnés, le Silence des agneaux, n’importe quelle série ou trilogie pour adolescents, etc.), mais au moins on peut se prendre au jeu, car ils se dévoilent progressivement et, dans l’ensemble, ne se contentent pas de répondre à une typologie fixée à l’avance.
En fait, les vivants sont au moins aussi intéressants, alors que le titre de la série pourrait penser qu’il s’agit de faire-valoirs. Le personnage de Julie, trentenaire (?) pas vraiment adulte mais déjà flippée, aurait sa place dans n’importe quel feuilleton non-fantastique, tout comme Toni, grand frère meurtrier et protecteur, dont l’histoire suffirait à un long métrage. Je ne parle pas de Pierre, mi-travailleur social, mi-survivaliste à la philanthropie intrigante et au langage de gourou… Grâce à la façon qu’a le scénario d’en dévoiler juste assez, les vivants ne sont pas négligés.
Reste à espérer que le scénario restera aussi serré : c’est le point fort des Revenants. Il n’y a pas encore pour le moment, de délires abracadabrants à la Lost, et le petit coup de mou, au milieu de la saison, ne dure pas. Des revenants immortels auxquels on cherche un point commun, l’un d’entre eux qui semble avoir des pouvoirs, deux frères célibataires qui regrettent leur môman, un lac qui n’en fait qu’à sa tête, une médium, le passé trouble de presque tout le monde : cela ne fait pas tant de pièces de puzzle, elles ont intérêt à s’imbriquer correctement.
On peut aussi pleurnicher parce que la première saison n’apporte pas de conclusion ferme et qu’elle laisse le spectateur sur sa faim. Dans ce cas, on aura intérêt à juger les longs métrages sur leur première demi-heure et les romans sur le premier chapitre.
Évidemment, j’espère que je n’aurai pas à regretter cette critique après la deuxième saison.


Six mois dans la fiction et trois ans après dans le monde réel — d’où un petit souci de crédibilité pour les jeunes comédiens, qui sont à l’âge où on grandit plus vite dans la réalité que dans la fiction —, on rajoute des couches au mille-feuilles que constitue l’intrigue. D’ailleurs, on se retrouve avec un barrage sur un barrage. Et des morts qui rejoignent d’autres morts. Avec le risque que le spectateur finisse par se noyer. Cet empilage de personnages, rapprochant les Revenants d’une série chorale, tend à disperser l’intrigue, au lieu de la concentrer sur ses questions fondamentales : pourquoi les revenants sont-ils revenus et que veulent-ils ?
Est-ce une pure ligne artistique, le fruit des circonstances — trois ans entre les deux tournages, un scénario qui n’est plus assuré par Emmanuel Carrère — ou une volonté de coller au plus près à l’image série-Canal+-pour-téléspectateurs-exigeants ? Toujours est-il que la seconde saison fonctionne par à-coups, avec un scénario à la fois brinquebalant et dopé — voir le fourre-tout narratif des épisodes 1 et 2 — qui tranche avec l’inquiétude construite et contemplative de la première saison et laisse en plan certains des motifs que celle-ci avait abordés : bien que l’on revienne dans les derniers épisodes à un rythme moins heurté, la continuité est moindre dans la seconde saison que dans la première.
C’est ainsi que tout un pan de l’intrigue — celui consacré au bébé d’Adèle — tourne à vide, sans proposer ni suspense, ni progression ; les comédiens, Pierre Perrier en tête, n’y sont peut-être pas pour rien. Et, alors que la première saison des Revenants pouvait paradoxalement avoir quelque chose d’extrêmement réaliste, dans la seconde c’est son aspect allégorique — qui a au moins le mérite de montrer qu’une série allégorique peut être réussie — qui est privilégié, au détriment de tout ce qui aurait pu lui assurer un ancrage dans le réel : la curieuse inaction des autorités, l’impression que le travail est une activité facultative si l’on n’est ni militaire, ni curé, ni infirmière, et la figure de fonctionnaire à demi mystique que constitue Berg.
On sera donc indulgent : mettons sur le compte de ce goût pour l’allégorie l’ensemble de clichés — les dessins prémonitoires, les retrouvailles, le baptême presque clandestin… — qui alourdissent par exemple l’épisode 2.5, qui propose par ailleurs de très bons passages. Et on arrêtera la projection avant les dix dernières minutes de l’épisode final, pour conserver cette agréable impression de tomber sur une série française qui, malgré ses défauts, ne prend pas le spectateur pour un con.

Alcofribas
8
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le 19 août 2013

Critique lue 507 fois

Alcofribas

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